dimanche 28 novembre 2010

Marchés : la mode et le sport

http://www.trucdenana.com/quand-la-mode-le-sport-ne-font-qu-un-,art-668-0.html

http://www.photosbyjack.com/sports-p1-17.html

http://www.journaldunet.com/management/marketing/repositionnement-marque/lacoste.shtml

http://www.elle.fr/elle/Mode/Les-news-mode/Autres-news/Le-sport-et-la-mode-reunis-a-Londres/%28gid%29/687372
 http://www.sanctius.net/blog/la-mode-sportive.html
 http://www.aufeminin.com/reefitness/ea7-quand-le-monde-du-sport-rencontre-celui-de-la-mode-d16028.html

Culturel : la mode et l'architecure ( suite et fin )

http://architags.blogspot.com/

http://www.wepulse.com/

http://www.passcreamode.com/-2-professionnel-228-paroles_profesionnels_Un_autre_regard_sur_l%E2%80%99architecture

Culturel : mode et tendances

http://www.journalmetro.com/blogue/post/625644

Culturel : la mode et l'architecure

http://www.linternaute.com/savoir/magazine/photo/retrospective-zaha-hadid/quand-la-mode-et-l-architecture-se-rencontrent.shtml

http://www.batiactu.com/edito/quand-l-architecture-inspire-la-mode-8271.php

http://www.aroots.org/notebook/breve437.html

http://fromparis.over-blog.com/article-la-mode-et-l-architecture-references-de-mon-projet-55798344.html

http://marycherby.centerblog.net/rub-la-politique-sujet-keffieh-une-mode-.html

Social : mode et politique

http://www.emarrakech.info/POSTURES-de-la-mode-et-de-la-politique-nouveau-magazine-marocain-du-groupe-Luxe-Radio_a48122.html

http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2009/06/leffet-carla-ou-la-mode-en-pol.html

http://www.lepoint.fr/actualites/quand-le-monde-politique-rencontre-la-planete-mode/1037/0/279379

http://bloc-mode.com/?cat=149

http://parismademoiselle.e-monsite.com/blog,mode-politique,84522.html

Marchés : prêt-à-porter de luxe au Québec et ailleurs

http://www.irec.net/upload/File/memoires_et_theses/25_EMOND_Pierre-Luc_M%C3%83%C2%A9moire_HEC.pdf

http://www.web-libre.org/dossiers/dolce-gabbana,768.html

http://www.enmodeluxe.com/tag/pret-a-porter-de-luxe/

http://www.oboulo.com/analyse-sectorielle-secteur-haute-couture-pret-a-porter-luxe-13398.html

Boutiques : créateurs québécois à Montréal ( suite et fin )

Boutiques : créateurs québécois à Montréal ( suite )




Boutiques de créateurs québécois à Montréal










samedi 27 novembre 2010

Marchés : mode de la rue

http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=7380501689257357651

http://www.aufeminin.com/mode-femme-et-moi/mag-d13030.html

http://divertissement.ca.msn.com/celebrites/photos/galeriedephotos.aspx?cp-documentid=25423584http://www.attali.com/ecrits/articles/sociologie/la-mode-et-la-rue

http://www.ellequebec.com/mode/style-de-rue/mode-de-rue-montreal-retro/s/3230/

http://largeur.com/?p=2127

http://frenchtouch.over-blog.com/article-1388516.html

http://www.guidenoo.com/sarah/la-mode-dans-la-rue/
http://www.rue89.com/et-pourtant/2008/12/25/les-blogs-de-mode-de-rue-titillent-les-pros-de-la-mode

http://www.tessier-rp.com/spip.php?article1121

http://www.gizmodo.fr/2010/10/14/quand-la-mode-colle-a-la-rue.html
http://www.puretrend.com/rubrique/histoire-de-la-mode_r16/histoire-du-street-style-la-mode-est-dans-la-rue_a33250/1
http://www.clickjapan.org/Coutumes_et_fetes_japonaises/mode_quotidien.htm

http://www.blogtendancemode.com/?sectionid=34&mode=la-mode-tendance-Style-de-rue
http://www.tendances-de-mode.com/2010/09/22/1894-le-minimalisme-a-l-epreuve-de-la-rue
http://www.lestempsdansent.com/mode-la-rue-prend-le-pouvoir/

Téchonologie : mode et avancement technologique

http://www.vancouver2010.com/fr/plus-information-2010/festivals-et-%C3%A9v%C3%A9nements-culturels/nouvelles/des-v%C3%AAtements-cin%C3%A9tiques-allient-mode-et-technologie-%C3%A0-electromode_273986zn.html


http://www.jp-blog.org/index.php?2010/11/15/1434-ralph-lauren-la-fusion-de-la-mode-et-la-technologie


http://www.cttm.ca/

http://www.univ-angers.fr/FORMATION.asp?ID=ESlpmode&langue=1

http://www.trucdenana.com/hightech/article/node/geekette-et-modeuse-quand-la-technologie-prend-les-codes-de-la-mode,4529,0.html
http://www.feminimix.com/telephone-LG-Prada-KF900,1133.html

http://www.lesechos.fr/luxe/loisirs-voyages/300216432-luxe-mode-et-technologie.htm

Marchés : la mode québécoise et créateurs québécois

http://www.mdeie.gouv.qc.ca/index.php?id=4687&no_cache=1&tx_ttnews[tt_news]=2510&tx_ttnews[backPid]=5&cHash=8c423ca737

http://www.ledevoir.com/societe/consommation/279987/la-mode-montrealaise-habille-au-rabais
http://www.ofqj.org/actualite/408

http://www.canoe.com/artdevivre/mode/article1/2010/02/08/12789921-jdm.html

http://www.aufeminin.com/defile-de-mode/mode-montreal-createurs-montreal-shopping-montreal-d8718x34234.html

Maechés : mode et associations

http://patwhite.com/node/11468

http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&section=25&article=73845


http://www.braderiedemodequebecoise.com/CCMQ-Communique-20.10.10.pdf

Marchés :Quand la haute couture et le prêt-à-porter se rencontrent…

http://www.journalmetro.com/mavie/article/645738--quand-la-haute-couture-et-le-pret-a-porter-se-rencontrent

Téchnologie : textiles intelligents et vêtements futuristes

http://www.gestiondesarts.com/index.php?id=542

Marchés :

http://www.gestiondesarts.com/index.php?id=551

http://www.gestiondesarts.com/index.php?id=1715

http://www.gestiondesarts.com/index.php?id=549

Marchés : créateurs québécois

http://lacecanada.com/fr/index.htm

http://www.canada-annonces.com/divers-206257.html

http://www.mariedooley.com/biographie-marie-dooley-designer-mode-quebecoise,2

Marchés: le prêt-à-porter au Québec

http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/283433/le-pret-a-porter-quebecois-en-mode-survie-une-main-de-fer-dans-un-gant-de-velours

Social : mode et politique


LE BEN FRANKLIN POST ,

Un  magazine de l’agence  FRANCE  USA   MÉDIA.

La crise secoue la mode

Par Guillaume Serina | 26/02/2009 | Catégorie: Art de Vivre, Hebdo
New York (New York) - France USA Media
Auteur : Stéphanie Fontenoy
La récession a eu raison des excès de la Fashion Week à New York. Mais « la mode vaincra », assure un « trend setter ».
Que vient faire Karl Marx à la Fashion Week ? Entre les coiffeurs et les maquilleurs qui s’activent en backstage, un journaliste se prend à philosopher: « Dans le Capital, Marx explique comment les machines remplacent l’homme au travail. On voit maintenant avec la crise actuelle que les machines en sont venues à remplacer l’intelligence humaine», dit-il, une allusion sans doute aux traders impuissants devant la dégringolade du Dow Jones. Autour de lui, les jeunes mannequins enfilent leur énième tenue de la journée sans broncher. A quoi ressemble la récession dans la tête d’une jeune beauté russe de 17 ans ? « Des hauts, des bas, oh, c’est compliqué », répond Anya, alors qu’un photographe un peu manipulateur  lui demande de poser devant le terminal Bloomberg qui vient d’être installé dans le bar bien fréquenté de l’hôtel Plaza. Pour cette adolescente au corps de femme, l’inquiétude du moment, c’est moins la crise que le nombre de défilés qu’elle décrochera au cours des auditions quotidiennes que lui impose son agent. « On nous fait marcher. Parfois on a de la chance, parfois non».
Mais le nombre de défilés et la récession ne sont pas sans rapport. Le planning habituellement serré de la Fashion Week de New York n’affiche plus complet. Signe des temps, Marc Jacobs, l’enfant chéri de la mode américaine, a fait un trait sur son « after », soirée ultra prisée qui marque en temps normal l’apogée de la semaine des défilés. « Ce n’est pas le moment de dépenser de l’argent pour amuser le monde entier », s’est justifié Robert Duffy, le président de Marc Jacobs International, affichant soudainement des états d’âme. Il est vrai que cette année aux soldes d’hiver des grands magasins new-yorkais, des sacs Marc Jacobs qui s’arrachent normalement à 500 dollars l’unité, faisaient presque pitié abandonnés pour 200 dollars dans des bacs de marchandises au rabais.
Oubliez le show, les mégawatts et les soirées branchées, il faut sauver l’essence de la mode, tant qu’il en est encore temps.Sous les tentes de Bryant Park,  rendez-vous des « fashionistas », une journaliste de Time Out TV tend son micro au public des habitués : « Vous ne vous sentez pas coupable de venir à la Fashion Week, en pleine crise économique ? ». Le thème est lancé. Le titre en couverture du Women’s Wear Daily (WWD), la bible de la profession, lance un appel à conjurer le sort : « Chic must go on »! « Le glamour a disparu », lance un photographe habitué des défilés En lieu et place du café Segafrado et de son petit décor italien où l’on sirotait encore la saison dernière des cappuccinos, McDonald fait désormais la promotion de sa nouvelle ligne de boissons caféinées. Faisant fi de l’étiquette, les victimes de la mode semblent s’accommoder de cette nouvelle réalité. C’est gratuit après tout, alors que de l’autre côté du parc, le latte coûte 4 dollars chez Starbucks.
Secouant un peu le dogme artificiel de cette grand-messe très marketing, un nombre non négligeable de créateurs, parmi lesquels des incontournables comme Vera Wang et Donna Karan, se sont essayés cette saison à des formules nouvelles. « Quand 1300 personnes viennent à un défilé, ils ne peuvent pas admirer le superbe travail de couture. Recevoir dans les tentes, c’est comme recevoir au Super Bowl », déclare Vera Wang, qui a choisi de faire d’une pierre deux coups, en montrant sa collection automne-hiver 2009 dans sa nouvelle boutique de Soho. Donna Karan l’a imité dans son studio du West Village, économisant du même coup un budget qui peut atteindre 500 000 dollars pour un défilé « clé en main » à Bryant Park.
Le coup de collier de l’industrie du luxe et un ralentissement dans la frénésie d’achat vont-ils donner naissance à une nouvelle façon de « consommer » la mode ? Les designers les plus avant-gardistes semblent prêts à tourner la page de la Fashion Week comme débauche de publicité, destinée à produire des images désirables dans les magasines ou sur les écrans de télé. Carmen Marc Valvo est un des designers qui a troqué sa fidélité de dix ans au défilé pour une présentation plus intimiste chez Citrine, un lounge du quartier du Flatiron building. « Les défilés ne sont plus une méthode efficace pour attirer l’attention et le business étant donné le climat économique. Tout le concept des podiums est presque passé», a déclaré au WWD Frank Pulce, le vice président de Valvo pour les relations publiques. Poussant l’innovation un peu plus loin, la marque londonienne Temperley a opté pour une installation multimédia: « C’est fou qu’une industrie créative (comme celle de la mode, ndlr) n’ai pas changé de format au cours des 20 dernières années », souligne Alice Temperley. « Nous avons réfléchi attentivement à ce dont nous avions besoin pour permettre à la collection de toucher son public, et nous nous sommes arrêtés sur le concept d’une installation globale qui puisse être vue dans des millions de foyers via Internet ».
Sans peut-être tomber dans cet excès d’une mode électronique – qui ne prend pas plaisir à regarder défiler des mannequins en chair et en os et à décrypter les tenues du premier rang – la crise offre l’occasion de se réinventer. Ou simplement de se faire un nom. A une bonne distance de Bryant Park, dans un entrepôt au décor nu, Abigail Lorick ne s’est pas laissée décourager par la déprime économique  A 26 ans, la jeune créatrice présentait la semaine dernière son premier défilé à New York : « Nous ne pouvons pas faire marche arrière et nous enterrer car nous avons peur. Je pense qu’il est important de faire en sorte que les gens restent intéressés par la mode. Celle-ci ne doit pas forcément être ostentatoire, mais il est important d’aller de l’avant». Verdict au dernier jour de la Fashion Week. Raul Penaranda, veste sans manche matelassée jaune sur une chemise de bûcheron, flanquée de deux jeunes femmes fardées et pailletées, se décrit comme un trend-setter. Pour lui, la mode vaincra, « car elle est intemporelle ».

Marchés : mode , néolibéralisme , contre -culture et art contemporain

François DERIVERY


Néolibéralisme, contre-culture et art contemporain :
- Une logique de prédation


Naissance d’une contre-culture
            Christopher Lasch a opposé culture populaire et culture de masse1. D’un côté un ensemble de savoirs, de traditions et de valeurs de civilisation construites au long de l’histoire — valeurs d’écoute et de respect de l’Autre, exigence de démocratie… ; de l’autre une culture commerciale d’ambition planétaire, reposant sur la production d’objets calibrés et idéologiquement conformes relayée par des médias aux ordres.
            A partir de 1945, l’essor du néolibéralisme, né de l’internationalisation du  capitalisme nord-américain dopé par la guerre, soumet de gré ou de force un nombre croissant d’activités humaines à la loi du marché. Les rapports sociaux et les valeurs qui les régissaient en sont profondément affectés.
            Dans la mesure où le lien social est désormais défini par le marché — la loi de l’échange marchand — les valeurs qu’il perpétuait dans sa forme traditionnelle apparaissent caduques et deviennent même des obstacles au «libre» développement de la société de marché. 
            En évacuant toute référence aux sociétés non marchandes, une nouvelle «modernité» entreprend de vider de leur contenu les formes culturelles et jusqu’aux concepts structurant le sens collectif, tels ceux de démocratie, de droit, de culture et bien entendu d’art. L’enjeu est, en les reformatant à l’aune du marché, d’en faire des instruments du libéralisme et de transformer le citoyen en producteur-consommateur, consentant et soumis.
            La notion de «culture de masse» ne correspond donc pas seulement à ce que la Gauche appelle la «marchandisation» de la culture, c’est-à-dire au fait que la culture soit une activité économique et industrielle comme une autre. Cette notion désigne une production originale fondée sur un projet idéologique nouveau. La culture de masse se constitue, dans ses formes et ses contenus, en rupture et non pas dans la continuité avec la culture comprise au sens patrimonial du terme.
            Cette nouvelle culture de la société de marché remplit un double rôle d’édulcorant social et d’alibi de la domination économique et politique. Les «succès» qu’elle remporte sont ainsi paradoxalement à mettre au crédit du néolibéralisme lui-même, les ravages de la mondialisation capitaliste créant des besoins de compensation symbolique sans cesse renouvelés. L’industrie culturelle gagne donc sur tous les tableaux, à mesure que s’accroît la pression du système sur les individus.
            La notion de postmodernité2 rend compte de cette rupture économique, culturelle et idéologique qu’a constitué l’avènement du néolibéralisme et d’un nouveau modèle de société. La rupture dans les faits ne pouvait néanmoins être immédiate et radicale. Le néolibéralisme s’est imposé plus rapidement dans la sphère économique que dans la sphère culturelle. Il a fallu quelques décennies pour que se dégage la traduction en termes culturels de l’option néolibérale, et inégalement selon les secteurs3. L’art dit «contemporain» se situe à la pointe de cette évolution, dans un champ propice aux radicalisations tant en raison de son caractère confidentiel mais hautement symbolique que de la demande économique et distinctive à laquelle il doit répondre.

Un art de marché
            A la fin de la 2e guerre Mondiale la CIA introduit en Europe, avec le plan Marshall, un art nord-américain armé d’une féroce volonté de conquête. L’hégémonie économique ne va pas sans domination culturelle. Les Etats-Unis viennent de faire le ménage chez eux, mettant un terme aux expériences d’art «engagé». Leur nouvelle politique culturelle entend imposer un art «neutre»4 complice et acteur de leur projet impérialiste. L’art contemporain de marché se développe à partir de ce premier modèle d’art trans-national, alors que le marché de l’art, qui se structure au niveau mondial, se cherche une référence esthétique.
            La fonction de cet art sans frontière découle des circonstances mêmes de son avènement : outre son rôle économique d’objet de placement et d’investissement, il est mandaté pour diffuser les «valeurs» du néolibéralisme. Le fait d’associer art contemporain et culture de masse peut sembler paradoxal, compte tenu, entre autres, de l’élitisme et de l’arrogance affichés par cet art. Mais l’élitisme d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier, qui se référait au savoir ou à la compétence pratique : c’est un élitisme de position sociale, un élitisme du compte en banque. Il est d’autant plus extraverti qu’il est fermé à l’Autre aussi bien qu’à lui-même. C’est celui de la télé réalité, de ses modèles en trompe-l’œil et de la presse «people» — laquelle n’a rien de «populaire» bien qu’elle vise le peuple. C’est un produit de marché. De façon générale la contre-culture n’est d’ailleurs pas destinée à l’usage des seules «masses», elle a une réelle vocation universelle. Les nouvelles élites seront obligatoirement incultes…

Censure du sens et formalisme
            La maîtrise des procès de sens et la censure des dissidences est une nécessité pour le néolibéralisme, s’il veut perdurer. La censure de l’histoire au nom de la «modernité» permet d’évacuer les stratégies potentiellement déstabilisantes. Une nouvelle idéologie de l’art entend justifier le statut d’exception dont bénéficie celui-ci  — ou du moins l’art contemporain — d’être sans passé et sans devenir de même que sans contenu. C’est au nom de cette idéologie que les pratiques artistiques signifiantes sont elles-mêmes dénoncées comme «idéologiques» — autrement dit «malhonnêtes» non artistiques et sans éthique — cependant que toutes critiques qui s’en prennent à la doxa officielle sont présentées comme la manifestation d’une «haine de l’art».
            Le néolibéralisme est l’origine et la raison d’être de l’art contemporain. Pourtant la critique du concept ou du modèle n’implique pas la mise en cause des œuvres elles-mêmes ni de toutes celles que le marché inclut dans sa définition, toujours pragmatique, de «l’art contemporain». Si le marché de l’innovation artistique — dont c’est la fonction idéologique, économique et distinctive — propose dans les foires internationales des clones toujours plus radicaux du modèle, toutes les productions artistiques n’en sont pas moins, à des degrés divers, des objets hybrides.
            Contrairement à ce qu’affirme la doxa, la pensée critique et le travail du sens ne sont pas des activités idéologiques. Mais elles acquièrent un sens politique dès qu’elles mettent en question la représentation officielle, la forme imposée et aliénante du rapport au réel et à l’Autre. L’ouverture, la réelle prise de risque sont indispensables à l’émergence de significations et de formes nouvelles.
            Le formalisme contemporain naît de la peur du sens. Cette peur a conduit à l’abandon de la pratique artistique en tant que mode de production de l’art. La pratique peut se définir comme le travail conjoint, dans la durée, du fond et de la forme. C’est un procès — celui précisément de l’art. En cela elle ne peut pas produire des «objets» mais seulement des «œuvres». La postmodernité artistique rejette l’œuvre, qui renvoie à une pratique et à une histoire et qui est ouverte, mais sélectionne et sacralise l’objet «fini», dont elle attribue la paternité à la fulgurance d’un «geste» créateur. C’est l’avènement du «concept» au sens publicitaire du terme et du produit artistique formaté aux normes de la contre-culture.
            L’art moderne de la première moitié du 20e siècle a privilégié la pratique. Dans le prolongement d’une contestation de l’officialité artistique amorcée au 19e siècle, il a choisi l’ouverture sur la société et les risques de la signifiance plutôt que les certitudes de «l’art». Sa volonté de sortir du ghetto d’un art convenu, qu’on a appelé son «engagement», est l’explication de son exceptionnelle créativité. Mais cette approche et cette pratique de l’art étaient inconciliables avec le projet d’un art de marché idéologiquement conforme. Si bien que le néolibéralisme artistique a dû désavouer l’art moderne dans son principe créateur même et, en le vidant de son projet propre, le réduire à la prétendue «aventure des formes».
            Rabattus sur le plan de la fin de l’histoire tous les objets se valent. Dès lors, en dépit de la rupture idéologique de l’après-guerre, la postmodernité artistique, dont le projet se structure à partir des années 1960, va se nourrir de l’art moderne et de ses inventions formelles. Le nouvel «art», n’a pas et ne peut pas avoir en effet d’identité artistique propre. Il n’y a pas d’invention de forme sans procès de sens, c’est-à-dire sans nouvelle approche de la réalité. Or l’art contemporain est fondé sur un déni. Ses démarches appropriatives témoignent de son impuissance à nouer avec l’Autre un quelconque rapport d’écoute et de réciprocité.

Le ready made
            L’art s’est de tout temps nourri de la réalité. Mais la légitimité de cette démarche réside dans l’ouverture à l’Autre et dans l’investissement de l’artiste et de l’art dans la réalité. L’art médiatise la réalité. A travers la volonté (pulsion) d’ouverture et d’écoute il en produit une représentation que l’Autre est appelé à prolonger. Il ne donne aucun droit. La prédation commence quand la saisie de la réalité n’est pas justifiée par l’écoute et se réduit à une simple «appropriation».
            Le résultat du geste d’appropriation est un objet, fragment de réalité qui, transporté dans un lieu approprié fourni par le marché ou l’institution devient un «objet d’art». Certes ce qui est «artistique» c’est moins l’objet que le «geste», c’est l’opération d’appropriation — ou de médiation. Si ce n’est que la médiation ou encore ce qu’on appelait la «pratique», est récusée par l’art contemporain. L’appropriation est le degré zéro de la médiation et le «geste» d’appropriation est le degré zéro de la pratique.
            L’objet d’art contemporain est donc le produit et en même temps le témoin matériel d’un geste fondateur immatériel dont la valeur artistique, en l’absence de projet signifiant, est fixée par le marché. Ce geste «créateur», dans l’art contemporain, se réclame cependant à tort du prétendu «geste inaugural» de Marcel Duchamp. Le propos de celui-ci — qui à la différence du producteur contemporain avait donc un propos — était de dénoncer, avec ses ready made, le pouvoir de légitimation exorbitant du musée et de l’institution qui décident l’art. En travaillant de l’intérieur de l’institution — et comment pourrait-il faire autrement puisqu’il n’existe que par elle ? — l’artiste contemporain se situe d’entrée à l’opposé de Duchamp.
            Parler de «geste» à propos des premiers ready made est juste car Duchamp ne cherchait pas à fabriquer des «objets d’art». Mais le geste de Duchamp, au contraire du geste du producteur contemporain d’objets labellisés, était un geste critique, donc pleinement artistique. L’art contemporain n’est pas né de l’art moderne. Et l’image de «Duchamp» est le produit de l’art contemporain, pas l’inverse.
            Du point de vue de Duchamp l’objet même, l’urinoir, est anecdotique, de l’ordre du fait divers. Ce qui comptait c’était sa portée critique et historique. Mais la négation de l’histoire aujourd’hui, annule cette signification critique. L’appropriation du ready made en modèle formel par l’officialité contemporaine achève de convertir sa fonction anti-idéologique en instrument de l’idéologie qu’il dénonçait.
            Le sens du geste de Duchamp une fois évacué, il reste l’objet — à valeur ajoutée — qui en est la trace, et sa fonction de modèle d’un mode précisément de production d’objets qui ont cette particularité d’être à la fois et indissolublement des objets d’art et des objets de marché. L’institution culturelle, alliée au marché, a eu un rôle déterminant dans le choix de ce modèle.
            Après que Pierre Pinoncelli ait fendu à coup de marteau une «Fountain» de Duchamp en janvier 2006 à Beaubourg, une conservatrice du MNAM déclarait : «Faut-il insister sur la profonde dénaturation de «Fountain» une fois restaurée. Son statut de ready made, par essence neuf et intact… sa fonction ici absolue d’objet tout trouvé… donc d’objet d’art tout fait, disparaît par force.»5. «Profonde», «essence», «fonction absolue»…le discours est religieux, mais à quel niveau se situe réellement l’agression ? Pinoncelli n’a porté aucune atteinte au fameux «geste inaugural» de Duchamp, mais seulement à un objet-marchandise à forte valeur ajoutée : en l’occurrence la copie d’une copie.

L’art c’est la vie, l’effet de réel
            L’art contemporain de marché n’offre pas de médiation du réel, il se l’approprie, comme le fait le capitalisme. La mort du symbolique justifie la prédation et inversement. Quant au travail, qui renvoie à une histoire, rien ne doit l’évoquer dans l’objet «fini» c’est-à-dire finalisé en produit de marché. Ainsi ce n’est pas la réalité qui fait l’art mais l’art, l’illusion, qui fait (en la travestissant) la réalité. Le mot d’ordre «l’art c’est la vie», est à prendre à la lettre. La «réalité» est le dernier souci de l’art (contemporain). L’importance particulière qu’il accorde à «Fountain» provient sans doute du fait que ce ready made représente cette réalité — objet de toutes les exploitations et de toutes les dénégations — par un urinoir.
            L’idéologie du ready-made permet d’approprier le réel sous forme «d’art» tout en évacuant le moment médiateur et le risque de la signifiance. Comme il fallait pourtant justifier le fait que l’artiste a été expatrié de sa responsabilité dans le procès social du sens, une idéologie, qui est en même temps une esthétique, a été inventée, celle du constat. Il se trouve que, déplacée dans le champ de l’art, la réalité appropriée ou encore «investie» produit, et pour cause, un effet de réalité que l’artiste peut récupérer à son profit. Son intervention — mais n’est-ce pas un retour par la porte de service de la médiation et de la «pratique» néanmoins illicites ? — va dès lors consister dans la mise en scène de cet effet de réalité pour le plus grand profit de l’art-spectacle.
            La violence et la prise de risque dans l’art contemporain relèvent du spectacle. Celle de la réalité sociale et collective avec ses enjeux, est d’une autre nature. Cette violence-là, bien réelle, est évacuée à travers l’esthétique récupératrice du constat, qui s’auto-proclame volontiers «engagée». Mais le problème de l’art — il n’y en a pas d’autre — est celui de sa relation au réel. Ici cette relation n’existe pas, elle est simulée et en même temps récusée et niée. La thèse qui justifie la violence comme expression d’une «sensibilité» n’est donc qu’un appel de plus à la passivité ou à la crédulité du spectateur.
            Faut-il préciser que la recherche de l’effet de réel n’a rien à voir avec le «réalisme», lequel est une pensée de la réalité. La recette du «constat» démarque la réalité tout en refusant de l’interpréter. Mais ce refus est en forme d’aveu puisque la «réalité» ainsi reproduite ne peut être qu’une réalité de convention. L’hyperréalisme est l’expression artistique privilégiée du consensus idéologique6. Le «constat» est installé dans cette logique consensuelle du refus de (penser) la réalité. Ses poses subversives, quel que soit leur impact spectaculaire ou violent cautionnent l’ordre en place.
            N’étant pas engagée dans une volonté de transformation de la réalité, la production formaliste ne peut se «renouveler» que par la surenchère. A la fois pour continuer à remplir son rôle d’exutoire et pour satisfaire la demande du marché en produits à valeur distinctive et monétaire toujours plus grande. La recherche de visibilité justifie donc une violence qui est devenue le critère de la «créativité» et par conséquent de la valeur artistique.

*

            La logique capitaliste est implacable, elle appelle l’expropriation culturelle et la politique de la terre brûlée dans l’art comme dans les autres domaines. Si l’art contemporain donne parfois le change c’est par ce qu’il contient encore de non conforme à l’idéal marchand. De la même façon, c’est ce qu’il reste de lien social réel derrière la relation marchande qui permet à la prétendue «démocratie» néolibérale de faire encore parfois illusion. La société de marché et son «art» se nourrissent de l’Autre, mais ne lui rendent rien.
            L’histoire a tenté de construire des valeurs de société, des valeurs collectives, mais le passé contenait aussi en germe les modèles réducteurs d’aujourd’hui. Il faut lire l’art moderne comme une tentative d’inverser, en ouvrant l’art sur le collectif, la logique individualiste par où passait sa neutralisation et sa soumission au pouvoir politique.
            La réponse à cet «art» qui s’est attribué l’exclusivité de la contemporanéité ne se trouve donc pas dans la réactivation d’un subjectivisme nostalgique obsolète ni dans une nouvelle problématique formaliste. Les questions qui se posent en priorité ne sont pas esthétiques mais citoyennes. Il va nous falloir déconstruire les notions d’art et d’artiste et réexaminer leur pertinence à partir des réalités sociales et collectives. Il va nous falloir réhabiliter la pensée critique, revenir à la pratique et redonner du sens.

F.D.

_____
1. Christopher Lasch, Culture de masse ou culture populaire ?, éd. Climats, 2001.
2. Importée des Etats-Unis où, dans un sens différent, elle a un temps prévalu en architecture.
3. Il y a une forte résistance aujourd’hui encore contre l’absorption de la culture par l’ultra-libaralisme, comme le prouve la convention adoptée le 20.10.2005 par l’ensemble des membres de l’UNESCO sauf les Etats-Unis et Israël.
4. Selon les directives énoncées par Clement Greenberg, théoricien de l’Action painting : non-figurantion, apolitisme, individualisme, violence… toujours d’actualité.
5. A. de la Baumelle. Cité par Yak Rivais, Artension n°28, mars-avril 2006.
6. Pour s’interdire toute interprétation le peintre hyperréaliste préfère ne pas reproduire ce qu’il voit lui- même de la “ réalité ” mais la version déjà médiatisée qu’en fournit une photo.


dimanche 21 novembre 2010

Marchés: créateurs

http://www.fr.ykone.com/createurs/bio/katarzyna-szczotarska/

Marchés : créateurs et créations dans la mode

http://arrival.aeroplan.com/3232/1036/voyages-et-destinations/amsterdam---des-%C2%AB-coffee-shops-%C2%BB-aux-d%C3%A9fil%C3%A9s-de-mode
 http://fr.modefix.com/createurs/108566.htm

Culturel : mode et sport

http://www.trucdenana.com/quand-la-mode-le-sport-ne-font-qu-un-,art-668-0.html


http://www.sanctius.net/blog/la-mode-sportive.html

Social : mode et politique

http://www.imow.org/wpp/stories/viewStory?language=fr&storyId=933

http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/tracks/Cette-semaine/1710660,CmC=1712490.htmhttp://www.parismatch.com/Actu-Match/Politique/Actu/Quand-la-mode-et-la-politique-se-rencontrent-163284/
http://www.20minutes.fr/article/224742/France-Les-politiques-au-top-de-la-mode.php
http://www.emarrakech.info/POSTURES-de-la-mode-et-de-la-politique-nouveau-magazine-marocain-du-groupe-Luxe-Radio_a48122.html

Marchés ; mode et tendances


Mode: classicisme de rigueur

Par Leloup Michèle, publié le 04/08/1994
 En ayant fini avec les excentricités, les couturiers renouent avec les vraies valeurs. Les élégantes vont enfin pouvoir affronter les frimas en beauté. Dans la sobriété..
 
Ne retrouvions-nous pas, en cette mi-juillet, de ces vrais étés d'autrefois? De canicule en orages de fin du monde, menaçant même d'inonder le Carrousel du Louvre, trop neuf pour avoir connu ce temps où «il y avait des saisons», les dames de la mode, réunies pour la grand-messe des collections automne-hiver 94-95, s'étonnaient de revivre leur enfance. Parce que le classicisme était aussi du défilé, dans le genre retour aux vraies valeurs, grand mot d'ordre du moment. Dans une époque où tout est suspect, la quête de moralité devenant obsessionnelle, en arbitres des élégances, mais aussi de l'air du temps, les couturiers ont fait de la rigueur un style. L'excentricité n'est plus de mise. Moins d'ors et d'effets clinquants, très peu de tralala historico-ethnique, le ton est à une sobriété «à la française», qui ne manque pas pour autant de panache.
Chanel en tête de ligne, où le grand style, hier insolent et passablement mal-mené, reprend la main, celle hautement talentueuse de M. Lagerfeld, pour annoncer une partition sans électrochoc. D'entrée de jeu, du bleu marine et du noir pour des tailleurs à buste rond, «politiquement corrects» sur la longueur, des robes-manteaux très en taille, des redingotes nervurées amadouant le galbe, des petits spencers moulants en tweed gansé sur des pantalons années 30 ou des jupes bulles dévoilant un nombril juvénile... Mademoiselle, en piste! La ligne est indéniablement Coco et, de surcroît, terriblement jeune. La haute couture cessant de s'ébrouer sur l'air de «Secouez-moi, secouez-moi» en guise d'antirides, la voilà, brute d'atelier, magnifique et unique.
Ce qui doit faire sourire Hubert de Givenchy, indifférent aux hoquets de la profession, poursuivant depuis toujours une leçon de couture qui entraîne le corps dans des robes en jersey ruisselant, piquées d'écharpes en daim pour le jour, ou, à l'heure du cocktail, dans des tailleurs en grain de poudre, en velours ou en ottoman. De la classe avant tout!
La nouveauté côté matière? La soie dans tous ses éclats, retravaillée par Olivier Lapidus et les soyeux du Centre textile de Lyon. Le bonheur. L'oeil aurait voulu toucher ce manteau en fourrure de soie ivoire, cette robe perfecto en satin de soie et ce pantalon en serge de soie ciel lamé façon jean; des trompe-l'oeil, d'un raffinement suprême. C'est là le plus beau travail d'artisanat qu'il soit permis d'admirer. «La haute couture doit demeurer un laboratoire de recherche de la mode», souligne Lapidus. Un laboratoire où cogite le jeune Michel Klein, pour Guy Laroche, avertissant d'emblée l'assistance: «Je ne suis ni un casseur ni un bon élève.» Sans doute. Un créateur-né, sûrement, voulant laisser le temps au temps pour marquer sa belle différence: veste cavalière et fuseau pour femme amazone, marinière à la Robin des bois pour randonner du côté de Gstaad, robe papillon pour le soir. Ici, pas un brin de mohair, l'autre matière vedette, chaude et simplette, qui fait son entrée dans le grand monde. Le mohair? Oui! Eblouissant, sans donner l'impression qu'on se promène en robe de chambre, surtout lorsque Oscar de la Renta, pour Balmain, le travaille à sa manière, histoire de dessiner une silhouette d'hiver plus douce.
A chacun son truc pour séduire. Il sera en plume pour Erik Mortensen, chez Scherrer: plumes des marabouts tissées façon tweed, un tweed vibrant à vous donner la chair de poule. Mais c'est avec des robes-manteaux gansées de cuir que le couturier fait apparaître la femme, comme une lame dans son étui, prête à bondir. Pas de mini, mais du genou très caché sous la patte de Gérard Pipart, pour Ricci. Des tailleurs en alpaga et lainage chevron chiné, et des robes en crêpe rehaussées de vestes en poulain, imprégnés du nouveau parfum maison, baptisé «Deci-Delà»... le style est long. Il n'y a plus qu'à fredonner un «Va trottine...» pour déambuler à l'heure du crépuscule, en petite femme fragile, franchement romantique, habillée de tourbillons de taffetas sur des jupons multicolores. A moins que l'on ne préfère jouer les Reine Margot friponnes en robe de soie sauvage, haut brodé, col et poignets de tulle, amplement décolletée. Encore faut-il avoir le port de tête... Et nous le trouvons pour dire bravo à Emanuel Ungaro, un homme aux yeux couleur arc-en-ciel, probablement. Quel panache, ce mohair écossais frivole comme une houppette! Et c'est vrai, jamais la chenille, qu'elle soit bariolée ou rayée, n'a atteint ces sommets. Ungaro nous aime, surtout en courtisanes, vaguement négligées dans des froufrous de demi-mondaine, au point de toutes tomber dans la chantilly - la dentelle, évidemment - pour un léger clin d'oeil au xviiie...
Restons dans l'époque avec les duettistes Lecoanet-Hemant, empêcheurs de défiler en rond, moulinant ce siècle-là dans un accélérateur de particules. Le ton? Mozart parachuté au festival de Woodstock: caleçons empruntés à la rue en version brochée, sous des vestes queue de pie, bustier brodé sur un jean en cuir bordeaux, short bouffant à traîne et crinoline ressemblant à un abat-jour déchiré après un pugilat. Sidéral et sidérant, innovant autant que dérangeant. Oublié, le retour aux vraies valeurs, ici tout n'est que pied de nez. Reste à se laisser glisser, serein, sur le Grand Canal de la ville exquise où nous entraîne Louis Féraud, avec sa commedia dell'arte bien à lui. Des pelisses en soie peinte doublées de ragondin, des robes de mousseline noire transparente bordées de fraise de tulle blanc et des robes-chemises de peintre ceinturées de velours... Le maître Féraud a décidé de nous rassurer. Sans trop d'emphase, il parle d'amour et de ce besoin qu'on a, en hiver, de se rapprocher du feu. Pourquoi pas? La chaleur humaine, la sincérité, font un bien fou, c'est si rare...
Aussi rare qu'un défilé signé Dior, nous propulsant dans un univers d'émotion totale. Les clientes américaines, dégustant des fraises achetées chez Fauchon, guettaient ce rendez-vous donné dans une forêt extraordinaire. Ecorces d'arbres, sous-bois d'automne, les couleurs sont ici dignes d'une scène de chasse en Bavière, où la belle ingénue se promène court vêtue, la taille marquée, le cou protégé d'une énorme écharpe plissée, nouée comme une liane. Gianfranco Ferré brode de strass un cache-coeur angora et glisse sur nos épaules des paletots matelassés-édredons que l'on peut rouler en boule, négligemment, au fond d'un cabas assorti au tailleur. «Che bellissimo!»
Que faire des sentiments que l'on aimerait garder pour soi? De ceux, trop denses, que les mots ne parviennent pas à révéler? Nous étions nombreux, incapables d'exprimer notre bonheur, devant la collection d'Yves Saint Laurent, véritable hymne à la joie. Ses ensembles de mandarin, immenses, en soie feu et noir, noués à la chinoise, cachant des robes de mousseline irisée, succédaient aux petits tailleurs immortels en cachemire ou en velours et, parfois, l'ourlet haut perché s'égarait au ras de cuissardes d'aventurière. Trente et un modèles tout noirs, pas deux semblables, et pas un soupir dans l'assistance. La peinture a son Van Gogh, la couture, son Saint Laurent...
Quant le ciel se met à scintiller d'étoiles, Christian Lacroix n'est pas loin, prêt à nous donner son grand feu d'artifice d'idées. Les robes sont vaporisées de mordoré, les sweaters, noir laqué, la dentelle est irisée de «sucreries», l'organza, ceinturé de pierreries... Il y a de la magie là-dedans. Même si la maison s'est totalement renouvelée. Car nous sommes loin d'Arles et plus près de Rome du temps de «La Dolce Vita», plus proche du glamour que de l'époque du charleston et de la Movida que des Beatles. Bref, Lacroix, l'alchimiste, «ose», offrant son talent, mais aussi son coeur. Alors, debout, l'arène applaudit le matador, lui envoie des oeillets, une spectatrice s'évanouit...
Sur quelle planète sommes-nous? Dans une galaxie, plutôt, où la femme serait déesse. Femme richissime, certes - trois cents en France, peut-être - à se draper dans la rigueur réapprivoisée, à peine pesante. C'est là tout l'art de la haute
couture: capter le présent, pour ne laisser poindre que l'émotion, celle de la beauté.
Photos: Christian Lacroix. Un grand feu d'artifice d'idées. Louis Féraud. Il a décidé de nous rassurer. Michel Klein pour Guy Laroche. Yves Saint Laurent. Un véritable hymne à la joie. Christian Dior. Un univers d'émotion totale. Olivier Lapidus. Des trompe-l'oeil d'un raffinement suprême. Lecoanet-Hemant. Les empêcheurs de défiler en rond.

Culturel : mode et objets

L'influence des objets
La forme, le son et la couleur sont des caractéristiques fondamentales de nos objets, de nos environnements.
Au début du siècle, des gens savants et curieux se sont passionnés pour la connaissance des lois de la nature. Certains ont découvert la radioactivité, le moteur à explosion ou ont étudié l'électricité. D'autres ont cherché plus profondément derrière les apparences les lois d'une nature plus profonde, plus cachée. Ils ont constaté par exemple que les objets de l'art égyptien provoquaient un effet sur eux, leur procuraient des sensations agréables ou désagréables dans leur corps ou leur psychisme et ont voulu comprendre pourquoi des objets pouvaient avoir une influence comme un lieu ou un être vivant. Et comme c'était le début et la grande vogue de la découverte de l'électromagnétisme, ils ont pensé que c'étaient des ondes, encore inconnues des physiciens. C'était le début des "ondes de forme". Ils s'appelaient Énel (comte Skariatine), Chauméry, de Bélizal, Jean de la Foye, Boutard et tant d'autres avec eux et après eux qui se sont intéressés à l'influence de la forme, à "l'énergie" des pyramides ou des demi-sphères, à la forme des alphabets anciens et à la réalisation de tant d'appareils bizarres aux effets réels mais inexpliqués.

Mais très vite ils s'aperçurent que si la forme était fondamentale, l'influence des choses provenait aussi des matériaux, des couleurs, des proportions, mais aussi des espaces et des trous, des orientations, des angles, des miroirs ou même de la masse comme l'a démontré Pierre de Montgrand.

En effet, on peut accéder à cette profondeur de la Nature par toutes sortes de portes.

forme reliée aux fractales
Puis est apparue la géobiologie qui étudie l'influence du sous-sol. En effet, du sol proviennent des influences, parfois très puissantes, selon qu'on est placé au-dessus d'une faille, d'un courant d'eau souterrain ou même à l'aplomb de points ou de zones en relation avec des réseaux subtils aux effets énergétiques qui étaient connus depuis longtemps des égyptiens, des romains, des celtes ou dans l'Inde ou la Chine ancienne. Ils peuvent provoquer de nombreux symptômes de maladies, mais également ont partout été apprivoisés et utilisés pour engendrer  des influences et des atmosphères puissantes dans les temples ou les cathédrales.

Dormez dans un atelier rempli d'outils et de machines ou dans un un garage au milieu des moteurs démontés et vous pouvez être certain que votre sommeil sera perturbé, agité par l'influence des formes et des matériaux. Mais si vous faites marcher un moteur équipé d'un système Pantone (1) son influence se révélera excellente pour les êtres vivants et peut s'étendre, pour les gros moteurs, jusqu'à 10 mètres alentour.

L'influence des lieux, des êtres, des objets peut nous mettre dans un état particulier, mais ils peuvent aussi être bénéfiques ou perturbants. Et  il est facile de constater que l'influence des objets naturels est bénéfique et équilibrante, tandis que celle des objets artificiels est la plupart du temps perturbatrice (2).
Tous les objets de notre environnement moderne ne sont pas influents. La plupart sont neutres. Mais alors que tous les objets de l'artisanat ancien – et ce dans toutes les traditions - sont neutres ou bénéfiques, nos objets modernes, artistiques ou technologiques,  sont de plus en plus perturbateurs d'une part à cause de l'irruption de l'électromagnétisme et de l'électronique et d'autre part par la forme des objets ainsi que par les matériaux plastiques et la combinaison de matériaux dont les effets énergétiques sont opposés, comme par exemple les matériaux isolants ou conducteurs. Nos ingénieurs ne connaissent rien de l'influence des formes, des matériaux ou même de la pensée sur leurs créations. Mais il en est de même pour les artistes, les ingénieurs ou les cuisinières : leurs créations artistiques, techniques ou culinaires ont l'influence de leur état de pensée, de leur représentation et de leur intention.

LA FORME OU LE FOND ?

La forme de nos objets modernes est souvent inharmonieuse et génératrice d'influences négatives. Nous avons la science et la technologie, la religion et l'art correspondants à notre mode de pensée, au degré de subtilité et d'universalité de nos représentations. Et notre mode de pensée aujourd'hui est devenu si superficiel, si localisé dans un profit à court terme, si banalisé dans une uniformité générale, installé dans la médiocrité, le court terme, sans profondeur, sans cohérence, où tout sert le profit personnel et encourage à l'égoïsme, où tout est analysé, disséqué, séparé !

Par la pression publicitaire dans une société de consommation, on ne recherche que l'impact visuel et l'influence sur une psychologie de bazar. Les formes sont souvent agressives, à la recherche d'une originalité à tout prix, les couleurs sont criardes, tout est pour le tape-à-l'œil. Les concepteurs de produits sont comme certains artistes de notre époque : ils expriment souvent leurs peurs et leurs tensions, leurs déséquilibres et leurs psychoses. L'art moderne a perdu les racines de l'art qui plongent dans la profondeur du monde et là où il y a profondeur, il y a plus d'unité, plus d'harmonie et de beauté. Les richesses du monde comme de l'être humain sont en profondeur et non en surface. Ainsi les objets qui nous entourent  contribuent à nos déséquilibres alors que l'art et l'artisanat ancien contribuaient à notre qualité de vie extérieure et intérieure.

Et comme on vit n'importe comment, ou plutôt comme on peut sous la pression grandissante d'un milieu qui nous agresse, vampirise nos énergies et obscurcit nos consciences, nous plaçons tous ces objets n'importe comment, nous les empilons et nous les mélangeons.

Polygone étoilé


(1) : Le système Pantone, qui permet de substantielles économies de carburant, a été particulièrement étudié dans le site quanthomme (retour)

(2) : Ils ne deviennent pas nocifs parce qu'ils sont artificiels, mais parce qu'ils ont été conçus dans un environnement culturel séparateur, isolé de son contexte général, dans une conception intellectuelle limitée, coupée de toute cohérence (au sens philosophique) et donc inharmonieuse. Certaines sociétés commerciales fabriquent (le plus souvent) des objets technologiques sains et d'autres fabriquent (le plus souvent) les mêmes objets avec une pollution électromagnétique. (Nous ne donnerons pas de noms) . Et parfois, nous rencontrons (rarement) des objets technologiques usuels et de grande consommation, qui ont une influence bénéfique, harmonisante. Une proportion, une matière, une forme particulières ont transformé l'objet. (retour)

Culturel : mode et nature

Bibliothèque numérique
Influence+de+la+Nature+sur+la+Haute+Couture

Influence de la Nature sur la Haute Couture

Référence : bm20091211histmod

Auteur : Bénédicte MOUCHARD

Thème : Histoire de la Mode

Date d'édition : 12/11/2009
Nombre de pages : 3

synopsis

L'histoire de la Mode fondée sur les influences de la nature végétale.

Article

L’influence de la nature sur la haute couture.

Quand on dit haute couture, automatiquement, c’est la France qui vient à l’esprit, le faubourg Saint-Honoré, les défilés 2 fois par ans, les mannequins à la ligne stupéfiante,…
Pourtant, Paris n’a plus la place prédominante dans le domaine de la Haute Couture. Désormais, elle partage ce monopole avec des nouvelles places fortes dans le monde, telles que New York et Milan.

La petite histoire de la Haute Couture

Au début de l'histoire de la haute couture, la cour de France jouait un rôle prépondérant. Tout laisse à penser que la cour de Louis XIV fut un élément déclencheur. La France avait la réputation d'être la plus novatrice en matière de création de vêtements et d'accessoires. Que n'aurait-on pas fait pour s'attirer les faveurs du roi ? La cour anglaise et ses mœurs puritaines devaient paraître bien fades à cette époque là. On peut même se demander si les couleurs « bonbons anglais » existaient déjà.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le père de la haute couture est un anglais : Charles Frederick Worth. C'est lui qui au 17 ème siècle développa le système des modèles uniques, sur mesures, pouvant être commandé par de riches clientes.

Et quand on n'a pas de sous ?
Et oui, en matière de haute couture, si le portefeuille est en berne, il est difficile de s'habiller. Il est cependant possible de se rabattre sur le prêt à porter. N'oublions pas que le prêt à porter est une inspiration libre et souvent abusée de la haute couture. Il n'est pas rare que de grands couturiers se fourvoient dans le prêt à porter. Certains y perdent en prestige, comme ce fut le cas de Pierre Cardin.

Mais que faire quand on veut s’habiller chic, très haute couture. Primo, il ne faut même pas penser à la contrefaçon. Le procédé est immoral et contrevient au travail des créateurs. Secundo, il est toujours possible de faire des économies durant 6 semaines pour se défouler durant les soldes sur le Faubourg Saint-Honoré. Et tertio, il existe des friperies où l'on peut trouver « l'oiseau rare ». Évidemment, les bonnes occasions ne sont pas légion. Mais qui sait, il faut parfois croire en sa bonne étoile.

Réveillez l'artiste qui est en vous
Vous admirez les petites jupes tailleur de Chanel, Les pantalons et vestes de Saint Laurent, vous savez dessiner, faire un croquis, choisir un tissu... Le hic, vous ne savez pas coudre... Pas de misère, il y a toujours une solution : la bonne copine, la maman, la mémé, la tatie, tout ce petit monde de votre entourage peut avoir une machine à coudre et vous en expliquer les rudiments. Pourquoi ne pas devenir la Coco Channel de votre quartier, le Cartier du Boulevard, le Saint-Laurent de sa ville ?

Habilles copistes
Si les peintres se sont inspirés de la nature, les grands couturiers ne s'en sont pas privés non plus. Ils en usent et abusent. La légèreté des soieries n'est pas sans rappeler la légèreté des pétales de fleurs. Les imprimés imitent à la perfection les lys et les iris. L'imitation de la fleur met en valeur les vêtements et rehausse la beauté de la femme.

En 1970, avec la génération hippie, les couturiers se sont inspirés des fleurs psychédéliques, amenant une mode colorée, fantasmagorique. Depuis, cette mode revient régulièrement. La couleur, les fleurs luxuriantes ; quoi de mieux pour oublier la crise.

Cependant, nous sommes bien loin de l'idéologie hippie, peace and love, cool nature. La mode hippie du 21ème siècle est classe, chic et bohême. On essaie les perles, les fleurs, les dentelles, les velours, les cuirs, les fourrures et les imprimés léopard, il faut que cela fasse chic et non pas négligé, comme si l'on avait fait la foire à tout du coin.

Quand les grands couturiers signent les parfums
Dans le domaine de la parfumerie, rien n'a été inventé, tout a été copié, pompé, imité dans ce qui existe dans la nature.
Dans le domaine olfactif, tout se rapporte aux plantes, aux fleurs, aux fruits,... Les 7 familles olfactives y font référence :
• Les floraux élaborés autour d’une ou plusieurs senteurs florales. Il existe plusieurs sous-familles comme les floraux-fruités, les floraux-boisés, les floraux-verts...
• Les boisés désignent des parfums dominés par des notes boisées comme le vétiver, le cèdre, le santal, le patchouli…
• Les orientaux avec des mélanges de vanille, de fève tonka, de la coumarine ou l’opopanax, se mêlant à des notes de bois, d'épices ou de fleurs. La famille orientale comprend plusieurs sous-familles : les orientaux boisés, les orientaux-vanillés, les orientaux-floraux, les orientaux-épicés, les orientaux-gourmands.
• Les hespéridés sont construits à base de zestes d’agrumes.
• Les fougères à base de lavande, notes aromatiques, géranium, vétiver, coumarine, mousse de chêne.
• Les chyprés (ou chypres) sont des parfums initialement construits sur un accord bergamote notes fleuries (rose, jasmin…) et évoluant vers un fond boisé / mousse (mousse de chêne-patchouli) -labdanum.
• Les cuirs sont des créations olfactives rappelant l'odeur du cuir tanné. Très typés, les parfums cuirs sont généralement portés indifféremment par des hommes ou des femmes. Pour reproduire l'odeur du cuir, on utilise le bouleau, l'Isobutyl quinoléine (molécule de synthèse à odeur cuirée puissante et légèrement verte) ainsi que d'autres composants comme les notes animales, le ciste labdanum, les touches de tabac ou de miel...
Il n'y a rien de vraiment nouveau sous le soleil. Les créateurs s'inspirent de la nature pour offrir à leur public des vêtements, des accessoires, des parfums originaux.
Les couturiers n'ont pas seulement imité la légèreté des fleurs, leurs coloris, leurs senteurs. Ils se sont aussi attachés au mimétisme avec les animaux : manteaux de fourrure, fourreau panthère pour un look sauvage, robe longue aux paillettes argentée façon écailles de poisson afin de fantasmer sur le mythe de la sirène. Et n'oublions pas non plus, les plumes afin de donner un effet vaporeux des jeunes oiseaux.
Et oui, d’où vient la vraie originalité et laquelle est la mieux payée, … Suffit d’être logique pour trouver une réponse.

Fiche auteur

Bénédicte Mouchard est passionnée par les sujets de société. Elle vit dans la Haute Normandie où elle écrit beaucoup d'articles sur le tourisme. Elle aime, la lecture, l'information et la photographie.

Avis d’Éditions en Ligne

Des informations et une réflexion sur la production humaine, son imagination et l'influence de l'environnement.

Culturel : art et mode

Le pop art incarné

HOMMAGE A ANDY WARHOL


Figure emblématique du pop art, Andy Warhol est décédé il y a vingt ans au New York Hospital. Un musée éponyme abrite depuis 1989 à Pittsburg, ville où il a grandi, la plus importante collection de ses réalisations. Une oeuvre et un personnage qui se confondent et se reflètent dans leur caractère omniprésent et incontournable.

Deux oeuvres font vraisemblablement se rejoindre le centre Pompidou et le musée du Louvre. Ce sont deux portraits au sourire discret et en réserve, portraits de femmes dont la bouche close ne laisse pas échapper le son de la voix du sujet représenté. On a pourtant beaucoup parlé d'elles. Pour l'une, des scientifiques japonais ont récemment reproduit sa voix. Pour l'autre, l'on dispose de ses films. Ce sont les deux "Liz" : Liz Taylor et Mona Lisa. Si la voix des femmes est un règne, tel que pourrait l'entendre Pascal Quignard, alors Andy Warhol et Léonard de Vinci pourraient bien être des rois devenus muets tant la popularité de leurs oeuvres semble presque avoir assombri leur propre voix, leur propre dessein artistique. Aux icônes qu'il a représentées, Jackie Kennedy, Marilyn Monroe, Liz Taylor, on a pu garder l'image d'Andy Warhol à la perruque peroxydée. Image microscopique. Il faut considérer ce propos, et pour bien le comprendre évoquer le contexte de l'après-guerre dans lequel va s'inscrire Warhol : "Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, il vous suffit de regarder la surface de mes peintures, de mes films, de moi-même. Me voilà. Il n'y a rien derrière."

Lire la biographie de Andy Warhol

Le contexte de l'après-guerre

"Je voudrais être une machine", "A l'avenir tout le monde sera célèbre pendant quinze minutes", derrière les bons mots, ou les phrases colportables à loisir, se cache un artiste de l'exigence. Au début des années 1960 jusqu'à la fin des années 1980, à partir d'un scandale quasi permanent, Andy Warhol va faire sa révolution artistique. En 1950 il propose sa première exposition à New York, soit quinze dessins sur des textes de Truman Capote. Au cours de ces années, la société américaine va connaître un changement progressif et déterminant avec le rôle de l'industrialisation et du développement de la culture de masse. Changement radical qui va chez Warhol jusqu'à modifier un double rapport : celui à l'oeuvre, et celui à l'artiste. Un artiste qui n'est plus l'auteur de l'oeuvre de base mais qui va par l'intermédiaire des moyens de reproduction en série la modifier pour la faire sienne. Warhol explique ce mouvement : "Si je peins de cette façon, c'est parce que je veux être une machine, et je pense que tout ce que je fais comme une machine correspond à ce que je veux faire." C'est une situation de rupture qui marque ces années de l'après-guerre. Perry Anderson, dans 'Modernité et Révolution' analyse bien cette mutation où "l'ancien ordre semi-aristocratique ou agraire et ses corollaires ont disparu dans tous les pays. La démocratie bourgeoise s'est universalisée. Dès lors, certains liens décisifs avec un passé précapitalisé se trouvaient rompus. En même temps, le fordisme arrivait en force. La production en série et la consommation de masse transformaient les économies de l'Europe occidentale selon le modèle américain. On ne pouvait plus hésiter un instant sur le type de société que cette technologie allait renforcer : une civilisation capitaliste uniformément industrielle et d'une stabilité étouffante s'était installée."


Le pop art

Le terme de pop art est inventé à la fin des années 1950 par le critique d'art anglais Lawrence Alloway. En Angleterre, le pop art désigne à ce moment-là le travail d'un groupe d'artistes, et de façon presque similaire se développe aux Etats-Unis un courant moins fédéré puisque résultant d'initiatives individuelles. Toutefois, au-delà de la divergence structurelle, les deux courants se rejoignent au sens où l'appellation pop art signifie que l'art reprend à son compte l'univers visuel et la croyance qu'a la culture populaire dans les images. C'est d'une citation de cette culture dont il s'agit. De 1960 à 1970 ce mouvement ira en se diversifiant, prenant une envergure internationale.


Procédé sérigraphique et efficacité visuelle

Réalisée en 1963 'Ten Lizes' (201 x 564,5 cm, centre Pompidou, Paris) utilise la machine via le procédé sérigraphique. Sa grande efficacité visuelle résulte de l'absence de détails ; réduite à ses traits essentiels, elle bénéficie d'une immédiate lisibilité. Warhol reprend cette technique de l'industrie publicitaire pour apporter un traitement formel et sémiotique à une image dont la valeur de la reproduction n'est pas d'être assimilée à l'identique, il suffit de regarder les dix portraits de Liz Taylor pour bien s'apercevoir qu'aucun n'est véritablement ressemblant. Ici, huile et laque sont appliquées en sérigraphie sur la toile. Une plaque de verre ou bien de papier transparent sert alors de matrice, le premier tirage en résultant constitue l'original. Le critique d'art Marco Livingstone parle volontiers de "monotypes" pour ces réalisations. Un dessin au crayon (pouvant être aussi copié ou décalqué à partir d'une image prise sur une photographie) sur une feuille de papier résistante était collé sur une autre feuille. Les contours étaient ensuite en partie repassés à l'encre de chine. L'ensemble était replié, puis Warhol repassait à l'encre une autre partie des contours. Le procédé était répété jusqu'à ce que le dessin soit entièrement imprimé sur le papier absorbant. Ce processus indique un détachement affectif de l'artiste envers le modèle, c'est également à partir de là que Warhol va se diriger vers le cinéma : on y retrouve ici le procédé du photogramme.




La vie comme une oeuvre

Dans les années 1960 les premiers tableaux de Warhol font partie des premiers exemples du pop art américain. Personnage provocant et avançant masqué, fasciné par Hollywood, sa mode et son style, il prétend ne voir aucune différence entre un musée et un magasin à rayons. Brouillant la distinction entre l'art et la vie, il croit que l'art peut être la mode, la décoration, la politique. De son influence pour les "readymade" de Marcel Duchamp, et de ses emprunts à la culture populaire, naîtront les fameuses répliques de boîtes de supermarché en bois contreplaqué. Il systématisera après 1962 l'usage du procédé sérigraphique alors secondé par ses assistants au sein de son atelier, "The Factory", pouvant répondre à coup sûr à la demande de ses tableaux. Réalisateur de films, il sera producteur du Velvet Underground (1967), groupe de rock underground, il créera aussi en 1969 la revue Interview. Les images qu'il a produites sont le témoignage d'une époque résolument marquée par la commercialisation massive des produits et des images, elles signifient le passage d'un art de la reproduction à la reproduction comme art.
Les symboles utilisés, bouteille de Coca-Cola ou billet de un dollar, indiquent la charge de la relation affective qui lie les individus à ces objets, ils pointent la réalité d'une démocratie, le mirage qui l'entoure : "Ce qu'il y a de formidable dans ce pays, écrit Andy Warhol, c'est que l'Amérique a créé une tradition où les plus riches consommateurs achètent la même chose que les plus pauvres. On peut regarder la télévision et voir Coca-Cola, et on peut savoir que le président boit du Coca, Liz Taylor boit du Coca, et pensez donc, soi-même, on peut boire du Coca. Aucune somme d'argent au monde ne peut procurer un meilleur Coca que celui du clochard au coin de la rue. Tous les Coca sont pareils, et tous les Coca sont bons. Liz Taylor le sait, le président le sait, le clochard le sait, et on le sait aussi." Warhol radicalisera le rapport à l'image dans les dix années qui précéderont son décès (le 22 février 1987), se tournant vers l'abstraction comme dans les 'Camouflage' (peintures réalisées à partir d'agrandissement et reproduction photographique du motif camouflage militaire), les 'Oxydation Painting' (réaction créée par l'urine sur des pigments de cuivre).

Cette expérimentation plus ou moins radicale de l'image aura coïncidé avec une imbrication signifiante de sa propre vie et de son oeuvre. Ce sont précisément ces dernières années, celles du scandale, qui révèlent avec acuité un Andy Warhol moins commercial, plus méconnu, dont l'expérimentation radicale de l'image non reconnue par la critique de l'époque, témoigne de la capacité de saisissement de son travail.

Jean-Baptiste Touja pour Evene.fr - Février 2007


Social : mode vestimentaire

L’ordinateur vestimentaire

entre

habits de lumière et tunique de Nessus

Charles Halary
Professeur de sociologie (Université du Québec à Montréal)
Directeur de recherche TESLAB-Hexagram)



Résumé : Dans le dernier demi-siècle, le processeur d’un ordinateur est passé de la taille d’un monument à celle d’un ongle. Son évolution actuelle doit l’amener à une tête d’épingle dans le même laps de temps. L’ordinateur va d’abord pouvoir s’accrocher à la parure vestimentaire pour s’insérer ensuite dans des greffes effectuées dans le corps humain. Fixe, portatif, portable, l’ordinateur est déjà intégré de manière grossière au vêtement dans certaines activités professionnelles. Cet ordinateur vestimentaire sera un produit de consommation courante dans quelques années. Relié aux grands réseaux de type Internet, il deviendra aussi indispensable que montre, lunettes et maintenant cellulaire pour les citadins contemporains. Il va engendrer une mode spécifique issue de la convergence créative de stylistes et d’ingénieurs informaticiens. Le monde du spectacle sera le premier lieu de diffusion civile de cette technologie qui sort à peine de ses sources militaires. Il sera ensuite l’objet de débats concernant ses effets sur la santé (ones électromagnétiques) et la protection de la vie privée.

Structure du texte


Introduction

Innover : l’art et la manière

Mettre en scène
La popularisation de l’ordinateur
Les algorithmes s’ouvrent aux arts

Ordinateur vestimentaire et identité sociale

Protection et séduction

La morale du corps et la machine

L’ordinateur vestimentaire, source d’identité

Les fonctions sociales de l’ordinateur vestimentaire

Un vêtement créateur

Le vêtement, le corps et la transparence

La communication inter-vestimentaire

De l’art vestimentaire et médiatique








Introduction



Les changements du monde de l’électronique au début du 21e siècle se caractérise par une miniaturisation des ordinateurs destinée à les intégrer à la structure d’une tenue vestimentaire de travail ou de ville. La vogue des portables téléphoniques, des agendas organisateurs popularisés par le «Palm» et la concurrence des principales entreprises de communication annoncent l’arrivée d’un « wearable computer » (ordinateur vestimentaire).

Depuis 1997, des colloques annuels sont tenus sur ce sujet par une section de l’IEEE (Institute for Electrical and Electronic Engineers) qui est la plus importante organisation mondial dans le domaine. Un premier défilé de mode organisé au Centre Georges Pompidou en février 1997 par Créapôle avec l’aide d’un professeur du MIT, Alex Pentland, fait entrer l’ordinateur vestimentaire dans le cercle des créateurs parisiens. Le congrès  scientifique international tenu en dehors des États-Unis a été organisé en octobre 2001 à Zürich. En 2002-2003, l’extension des champs d’application de l’ordinateur vestimentaire se caractérise dans le programme du Congrès de Seattle de l’IEEE qui verra se dérouler le premier défilé de mode illustrant les thèmes des communications scientifiques. Organisatrice de colloques semblables, la société privée Xybernaut de Fairfax en Virginie est devenue la pointe commerciale avancée de cet effort technologique en diversifiant ses activités en dehors du monde de la défense. Toujours à la pointe de ces recherches, une importante équipe du MIT de Cambridge est à l’œuvre pour étudier tous les aspects prospectifs et envisager toutes les solutions techniques liées à l’ordinateur vestimentaire. Avec la venue au pouvoir de George Bush, un vaste programme d’informatisation des uniformes militaires a été lancé au travers du MIT. 

Le but de ce papier n’est pas simplement de rendre compte de ces travaux mais d’envisager une approche sociale de cette technologie en émergence qui va modifier les relations sociales par un contrôle plus direct sur le corps du système électronique de communication. En effet, si d’un côté, l’ordinateur vestimentaire augmente de manière continue les pouvoirs sensoriels et intellectuels des individus (le self control), en réseaux ou autonomes, il ouvre une opportunité de manipulation à distance sur les individus qui réactualise le thème de Big Brother sur un mode séducteur (contrôle social).

Cette technologie a franchi les cercles fermés des enceintes militaires au cours des années 90 pour se propager dans certains secteurs professionnels bien ciblés dans le domaine de la maintenance industrielle. Les prochaines années annoncent un enveloppement du corps par une seconde peau intermédiatique qui sera utilisée par les employés des grands médias, dans un premier temps, et ensuite diffusé dans le commerce des gadgets de luxe. Par la suite, une fois largement diffusé, l’ordinateur vestimentaire achèvera l’intégration des individus dans les villes modernes pour donner aux rapports sociaux un élément collectif supérieur qui va guider les définitions individuelles vers une identité juridique fondée sur le corps. L’ordinateur vestimentaire va devenir un assistant personnel indispensable qui permettra, en toutes situations, d’avoir un conseil et de retrouver une information nécessaire immédiatement ou encore d’entrer en contact sur un sujet précis avec un individu noyé dans une foule. Cet ordinateur vestimentaire va encourager les contacts sociaux d’affinités avec une discrétion apparente qui pourrait faciliter les premiers pas d’une relation plus construite. Du point de vue de la sociologie appliquée, les ordinateurs vestimentaires sont une solution idéale pour des problèmes d’anomie urbaine.

La configuration actuelle en oligopole du système informatique rend cette perspective moins séduisante. L’absence du sens de la critique sociale au sein du monde merveilleux de l’informatique a engendré le gonflement habilement spéculatif de la valeur des actions d’entreprises liées à cette technologie structurante. L’effondrement de Wall Street en été 2002 avec son cortège de scandales de complicités ne peut qu’étonner ceux qui avaient songé à la purification numérique rédemptrice du capitalisme. Les volontés prédatrices sont exubérantes sur les réseaux. À défaut de protection légale possible, une protection privée permettra aux individus de se défendre contre des incursions qui s’annoncent de plus en plus systématiques.

Dans le monde de l’informatique qui est habitué à un travail individuel de bureau (dans une entreprise ou chez soi), comme dans celui de la mode vestimentaire (qui ne tient compte de l’informatique que dans la production industrielle et la comptabilité), une telle novation est encore généralement perçue en l’an 2002 comme marginale et sans conséquences sociales. Pourtant, avec de tels vêtements, l’informatique sort des lieux consacrés pour devenir partie intégrante de la vie quotidienne au même titre que la montre bracelet depuis un siècle (avec l’horlogerie et ensuite l’électronique au silicium), le walkman ensuite et le téléphone portable enfin (avec l’électronique hertzienne). Le but de ce papier consiste à se demander quels seraient les usages sociaux envisageables et praticables de ces ordinateurs vestimentaires.

Innover : l’art et la manière


Ville et nouveautés vont souvent de pair. Pour le meilleur et pour le pire. Dans Les lumières de la ville (1931), Chaplin faisait la sourde oreille à la novation du parlant (invention des laboratoires Bell en 1926) en nous donnant un grand film muet, peut-être le plus beau de toute son oeuvre. Riches et pauvres, en argent ou en émotions, sont les caractéristiques des acteurs de cette comédie dramatique à laquelle le metteur en scène identifiait sa vie. Chaplin a été le plus riche des artistes de son temps, en venant des milieux défavorisés, mais aussi l’un des plus virulent contempteur du système capitaliste. Il avait vécu la ville comme le lieu autorisé de la dissidence. Au moment où les guerres et les dictatures faisaient résonner les médias, il adoptait le point de vue du pauvre type (tramp) ballotté par les événements et rebelle à toutes les orthodoxies. Pour Chaplin, les innovations portaient en elles des conséquences catastrophiques sur les foules urbaines. Les temps modernes rimaient alors avec dictatures internes. Mise en ordre des foules et surveillance des individus, tels serait aussi les éléments d’une lecture pessimiste des innovations en matière d’informatique. Faire de l’art avec de la quincaillerie technique est la réponse humaniste souhaitable. Mais l’art informatique n’a pas trouvé son Chaplin. La mobilisation des artistes dans le champ des technologies de l’information devient alors un problème de mise en scène sociale. Le plus important dans cette époque devenue épique depuis le 11 septembre 2001.

Mettre en scène

La mise en scène est une forme de mise en ordre. Elle se distingue par une ambiguïté théâtrale interrogative. Or, comme la machine à vapeur, l’ordinateur a été inventé pour mettre de l’ordre dans les flux d’énergie débarrassés de leur ambivalence. Carnot a élaboré une théorie de l’énergie en partant de la vapeur (entropie-néguentropie). Shannon l’a reprise pour construire sa théorie de l’information au sein des Laboratoires Bell. L’ordinateur est le produit suprême de cette réflexion qui s’est appuyée sur une branche des mathématiques, celle des algorithmes. Ce mot rend hommage à un savant musulman, Mohammad Al Khorezmi (780-840), né en Asie Centrale et actif à Bagdad. Son œuvre, transmise par l’Espagne, a fourni à l’Occident le système numéral indou qui a permis l’informatique en inventant le zéro. Les algorithmes consistent a mettre en équations des problèmes solvables de manière pragmatique. Comme les sociétés urbaines sont toujours plus complexes, le calcul de mise en ordre a dépassé rapidement les aptitudes des êtres humains normaux. La machine à calculer (inventée par le philosophe Blaise Pascal dans sa jeunesse) s’est imposée comme le moyen de gestion idéal pour le commerce et l’impôt. Les machines à calculer ont ainsi occupé dans les villes, et pour des fonctions financières, une place autrefois réservée à un prêtre (l’ordinateur) dans les campagnes. Ce prêtre devait organiser la procession des fidèles dans la dévotion rendue à l’autorité. Dans la langue française, le « calculateur automatique » (traduction de computer) est devenu un « ordinateur » au cours des années 60 après que le mot eut été proposé en 1956 à IBM par Jacques Perret, professeur de lettres latines. Les ordinateurs ont ensuite permis de réduire les individus à des séries de chiffres pour les banques et pour l’État. Les artistes se sont souvent opposés à cette tendance pour défendre l’originalité contre la copie, même conforme, et préserver la faculté d’innover. Et, un jour, tout a basculé à San Francisco avec Apple. La lutte contre Big Brother-IBM changeait de scène, d’acteurs et de trame dramatique.

La popularisation de l’ordinateur

Après avoir été monopolisé par les militaires et IBM pendant 30 ans, l’ordinateur s’est propagé aux classes moyennes à partir de la Californie. Se donner les moyens électroniques de croquer dans la nouvelle pomme de connaissances devenait un objectif légitime pour la dissidence culturelle. « Small is beautiful » résume cet esprit frondeur dont Apple a fait un objet de consommation courante avec le micro-ordinateur. En 1975-1977, les États-Unis, dotés d’équipements électroniques extraordinaires avaient accepté leur première défaite militaire face à un peuple vietnamien astucieux. Le micro-ordinateur devenait l’enjeu principal des nouvelles orientations culturelles opposées au complexe militaro-industriel justement dénoncé dans les années 50 par l’ancien président Eisenhower. En 1989-1991, Internet matérialisait la mondialisation du micro-ordinateur comme moyen de communication de tous vers tous. Imaginé comme une muraille protégeant le système de communication militaire américain contre la Russie, le réseau Internet était détourné par des scientifiques pour des fins humanistes. Montréal avec Archie (McGill), Toronto avec Zoomit et enfin Genève avec le World Wide Web du CERN étaient les villes pionnières de cette socialisation culturelle de la télématique. Le vieux rêve utopiste de rencontre entre tous les gens de bonne volonté prenait de nouveau son envol. Le courrier électronique supprimait les distances. L’invention de logiciels d’accès graphique facile (Netscape) permettait de faire revivre le mythe de la grande bibliothèque universelle. Avec la fusion en cours du téléphone cellulaire et du micro-ordinateur, cette mondialisation numérique sera la source d’une nouvelle forme de société urbaine planétaire.

Les algorithmes s’ouvrent aux arts

Ceux qui ont mis au point les ordinateurs n’étaient pas des artistes. Les deux plus importants dans la chaîne innovatrice, Alan Türing et John Von Neumann, ont construit leur carrière dans l’ombre des militaires pour la cryptographie britannique et le projet atomique Manhattan. L’intervention des artistes en informatique a commencé au cours des années 50 avec la manipulation poétique des textes (OULIPO de Queneau), des sons ( Xenakis et IRCAM de Boulez) et des images avec des ordinateurs encore analogiques (Laposky). Avec la miniaturisation, les ordinateurs, qui étaient de gigantesques «sculptures» électro-mécaniques, sont devenus des systèmes proches des structures génétiques du vivant et qui vont plus loin encore dans le raffinement. À l’échelle nanométrique, en effet, les circuits logiques sortent des lois de Newton pour suivre celles de la mécanique relativiste. Depuis quelques années, Gilles Brassard à l’Université de Montréal, propose un ordinateur quantique dont les capacités probables défient l’imagination courante. Frank Popper, dans L’Art de l’Âge électronique (Hazan, 1993), pense que l’ordinateur ouvre aux artistes le domaine étrange de la « réalité virtuelle » qui consiste à rendre plastiques des formes habituellement intangibles. Cette virtualisation gagne aujourd’hui le corps humain qui devient tout aussi transformable que les objets de la modernité. Exercice intellectuel pratique à son origine, propulsé par des machines électroniques ensuite, les algorithmes entrent en contact intime avec le corps humain par le truchement d’interfaces proches de l’intelligence émotive. Cette nouvelle interface globale, qui peut être qualifiée d’ordinateur vestimentaire (traduction de wearable computer), capte la sensibilité humaine pour en faire une composante majeure de la pensée rationnelle. L’ordinateur actuel payerait sa dette à Jacquard et Vaucanson, les inventeurs de la carte perforée utilisée en tissage après un passage en musique (orgue de barbarie), en leur offrant un habit numérique et, pourquoi pas, de lumière avec des fibres optique au laser. Comme Descartes l’affirmait, la raison flotte sur l’océan des passions, et, avec une ouverture des algorithmes sur les arts, cette évidence devient enfin visible et légitime comme sur un écran de biofeedback.

Ordinateur vestimentaire et identité sociale

Et je te dirai qui tu es. Entre les machines portatives largement répandues et les prototypes quantiques encore problématiques, viennent d’apparaître les vêtements intelligents ou ordinateurs vestimentaires. Ces ordinateurs vestimentaires vont avoir une profonde influence sur les moyens de se définir une identité sociale. Les États-Unis et le Japon en proposent les premières versions commerciales. Steve Mann à Toronto en est l’artisan le plus célèbre. À Montréal, on tente de trouver une fin artistique à cette machine qui pourrait sans cela ressembler à la tunique de Nessus. Avec le sens de la formule (le media, c’est le message), McLuhan avait souligné la symbiose progressive entre les moyens électroniques de communication et le corps humain. Les villes du 21e siècle sont baignées dans une ambiance de médias électroniques où la citoyenneté dissidente s’estompe. La miniaturisation des moyens de communication engendre un vêtement numérique nomade à vocation artistique. Le monde du spectacle, de Guignol à Charlie Chaplin en passant par Molière, a produit les anticorps nécessaires pour évacuer les germes de l’autoritarisme dans l’univers urbain. En retrouvant les sources du dialogue entre le clown blanc et le clown triste que Fellini a si bien documenté, il est envisageable de mettre en scène une utopie citadine que le monde entier aimerait partager. L’ordinateur vestimentaire de ce siècle, créé dans un enfermement militaire, peut être ouvert, avec l’art et la manière, sur un champ expérimental novateur pour les arts de la scène et, à travers eux, pour les multitudes de la foule urbaine.

L’ordinateur personnel est devenu un objet de consommation dont les cycles sont définis par des spécialistes de la mise en marché. Les inventions se situent en amont dans le domaine professionnel et sont sélectionnées pour engendrer des innovations planifiées. Les quasi-monopoles qui règnent dans cette industrie (Microsoft, Cisco, Intel…) n’offrent aux créateurs indépendants que des zones bien balisées. Cette appropriation privée oligopolistique des matériels et logiciels a été vue comme un moyen de se libérer du contrôle bureaucratique classique à base de formulaires de papier. Ce contrôle social par l’intermédiaire d’objets alphanumériques stables s’est étendu avec l’imprimerie en explicitant les mœurs les plus diverses de régulation sociale. Le port du vêtement avec son jeu de couleurs a longtemps été le premier moyen de discrimination sociale dans les villes de toutes les civilisations humaines connues par le truchement de recherches archéologiques et historiques. La relative liberté vestimentaire qui est apparue en Occident à la fin du 20e siècle peut se prolonger dans le domaine des équipements électroniques et des logiciels nécessaires aux ordinateurs vestimentaires. La mode redeviendra un champ de bataille politique où les mœurs privées et les usages de réseaux seront conjugués en un seul lieu, le corps humain. L’ordinateur vestimentaire sera ainsi en mesure de se faire une place dans l’histoire chatoyante des parures humaines.

Protection et séduction


Le vêtement réactif n’est pas une invention récente. La recherche de fibres qui agissent sur le corps est une constante dans le monde de la mercerie. Les échanges entre les diverses sociétés de notre planète concernent surtout cette enveloppe qui entoure la peau (c’est l’origine même du commerce) et les ingrédients qui avivent le plaisir du palais que sont les épices. Épicerie et mercerie sont les deux sources de plaisir de la civilisation. Le vêtement qui enveloppe le corps consiste à protéger tout en soulignant une caractéristique corporelle qui spécifie une personnalité. Ainsi, quand, on dit que le roi est nu, il n’est plus vraiment roi. L’attribut vestimentaire a engendré assez rapidement une identification personnelle à partir de la fourrure de bêtes sauvages qui indiquaient un trophée porteur de forces extra-humaines à la disposition de celui ou de celle qui le porte. La fusion entre le vêtement et le pouvoir qu’il confère engendre une aura de séduction qui ouvre toutes les voies de la réussite pour les entreprises les plus audacieuses. Mis à part les armures qui défient le temps, il ne reste pas grand-chose des vêtements du passé et les représentations picturales ne permettent qu’imparfaitement de sentir les qualités du filage, des coloris, du tissage et de la coupe de nos ancêtres les plus lointains. Les vêtements d’apparats des aristocrates ont bénéficié de conditions exceptionnelles de conservation et leur seule présence parmi nous démontre cette convergence de la protection de soi et de la séduction sur les autres.

La fonction de protection dans les villes se confond avec un degré supérieur d’information et non pas avec une armure ou un armement spécifique. Dans une zone à risque, la personne dotée d’un ordinateur vestimentaire peut demander des renseignements à une autorité de protection pour garantir sa sécurité. Cette autorité de protection pourra utiliser les flux d’information de l’ordinateur vestimentaire pour aider la personne en demande à sortir de la zone troublée. Cette fonction de protection est donc liée à une surveillance demandée qui s’exerce sur le porteur de l’ordinateur vestimentaire à distance et comme accompagnement efficace sur le plan informatif. L’idée de protection est éminemment sociale tandis que celle de séduction est la quintessence de l’individualisme et repose sur une rhétorique parfois peu disponible. Avec l’ordinateur vestimentaire, le rôle de Cyrano qui souffle les paroles de la séduction à Roxane par l’intermédiaire du joli Christian pourrait s’adapter à de nombreuses circonstances. Derrière une personne accoutrée de telle manière, une autre, deux ou trois peut-être, pourrait le conseiller dans ses manigances les plus diverses. Dans un registre semblable, il serait possible de faire vivre ses aventures au plus grand nombre de spectateurs liés, par un réseau audiovisuel, au protagoniste de l’histoire. On peut même imaginer pour plus de sûreté qu’une petite caméra satellite, une sorte de moucheron discret et silencieux, accompagne le personnage en fournissant, à lui-même et aux autres, une vue de spectateur des actions qu’il engage. Mais, il faut bien admettre que les micro-machines de ce genre sont concoctées dans des officines très secrètes et que leur commercialisation n’est pas pour demain. Avec l’ordinateur vestimentaire, la morale chrétienne qui sépare le corps, né divin, du malheureux objet privé de toute âme est battue en brèche. La matérialité du corps pensant devient plus évidente. Les objets, appendices du corps, sont généralement tolérés pour compenser un handicap afin de redonner à une personne les qualités humaines normales. Par contre, ceux qui augmentent les capacités naturelles ou sociales sont vus avec beaucoup plus de réticences. La morale dichotomique qui distingue le corps (animé par l’esprit) de la machine (sans esprit par définition) sera ébranlée par cette nouvelle avancée technique qui peut consacrer une nouvelle forme symbiotique de vie citadine. L’ordinateur vestimentaire va permettre une gestion plus consciente des émotions à travers leurs manifestations corporelles les plus infimes. La fonction de protection assurée par le vêtement peut être mieux associée à celle de séduction qui manifeste la recherche de plaisir de toutes formes vivantes et en particulier du genre humain.

La morale du corps et la machine


Le rapport du corps au vêtement a souvent été perçu en sciences humaines comme une question morale reliée à la pudeur, à la distinction ou au sentiment hiérarchique. Plus rarement, le vêtement est abordé de manière anthropologique comme un accessoire du corps en relation avec un environnement biophysique. Par exemple, tout vêtement emprisonne la chaleur entre sa texture et la peau. La qualité biophysique de cette texture permet à la peau d’échanger de l’air et des liquides en suspension avec son environnement immédiat. Le vêtement doit être ainsi perçu comme un filtre qui sélectionne les flux intrants et sortants. C’est une machine personnelle à vivre en société. Une personne entièrement recouverte est pourtant bien identifiée par ses proches si le vêtement est considéré comme lui appartenant. Le lien entre le vêtement et le corps est intime comme le fait de prêter l’un de ses vêtements à autrui. Ce rapport identitaire entre le vêtement et son porteur va trouver une stabilisation sociale plus exacte avec l’ordinateur vestimentaire. Il sera plus difficile de le prêter à un proche et certainement impossible à céder à un étranger. Bien sûr, techniquement, un vêtement doit au préalable être nettoyé pour être prêté mais ce qui n’est que lessivage dans la tradition textile devient une totale reconfiguration avec le vêtement informatisé.

La récente vogue du textile Gortex pour fabriquer les vêtements sportifs montre que les activités physiques intenses sont les principales sources de renouvellement cyclique par une recherche sur la texture. Les activités sportives ont engendré les principales évolutions commerciales innovatrices dans le domaine vestimentaire depuis un siècle. Le passage de la fourrure, du cuir tanné au textile indique une progression dans l’utilisation de filtres corporels. Avec la miniaturisation de l’électronique, le vêtement devient un capteur d’informations sur le corps et ses échanges avec l’environnement immédiat. Une telle enveloppe informatisée du corps humain va offrir des avantages aux métiers de plein air qui ne peuvent utiliser un ordinateur de bureau, ni même un portatif classique. En effet, une activité de travail de maintenance, par exemple, nécessite d’avoir une attention focalisée sur un dispositif à réparer, entretenir ou modifier.

Un ordinateur vestimentaire peut faciliter la représentation des informations opérationnelles. Un écran miniature proche des yeux lié à un ordinateur de poche peut assurer cette fonction de commande tactile ou vocale. L’ordinateur peut emmagasiner toute l’information utile ou bien être relié à une banque de données par Internet et réseau hertzien à large bande. Le vêtement de travail va engendrer une mode vestimentaire d’avant garde à travers ce genre de machine utile aux ouvriers qualifiés pour des interventions hétérogènes. Après la montre, qui a été la première machine complexe portable et le téléphone cellulaire qui fait aujourd’hui fureur dans toutes les grandes villes du monde, l’ordinateur vestimentaire va permettre d’ajouter à l’enveloppe entourant le corps des fonctions autrefois uniquement disponibles dans un bureau ou dans l’enceinte domiciliaire. Comme dans le cas des activités en réseaux à domicile qui remetfent en cause l’inviolabilité de l’habitat privé acquise à l’époque médiévale en Europe, l’ordinateur vestimentaire a un statut ambiguë. Objet personnel, il ne peut être soumis à une investigation externe en droit libéral. Objet public, il peut être soumis à une enquête et servir à faciliter la surveillance des personnes privées. Une autre étape sera celle de l’introduction dans le corps d’objets informatisés. Limitées aux malades et aux condamnés de telles pratiques, difficilement réversibles, aboutiraient à une évolution vers le cyborg, ce qui est socialement à proscrire pour des raisons évidentes d’atteinte aux libertés personnelles. Distinguer le corps des machines corporelles est le plus important défi pratique du 21e siècle. Ce débat inauguré par Descartes au 17e siècle, porté par la philosophie matérialiste du 18e siècle, par les romantiques du 19e siècle et les réformateurs sociaux du 20e siècle va connaître une nouvelle actualité avec l’ordinateur vestimentaire.

L’ordinateur vestimentaire, source d’identité

La mode urbaine a récemment emprunté aux militaires les pantalons aux poches multiples dont se sont emparés les jeunes qui tentent de gagner quelques sous en essuyant les pare-brise des automobiles. Les policiers, qui leur font face, disposent de casques plus ou moins légers de télécommunication. La fin des ouvriers manuels, comme catégorie sociale, les transforme en opérateurs high tech. Cette tendance converge avec les perspectives sportives qui sont en train de passer des formes design aux objets fonctionnels qui mesurent les performances d’un corps en plein effort (pulsations cardiaques, tension artérielle…). L’ordinateur vestimentaire permet une observation permanente du corps et une communication électronique permanente avec l’extérieur. Ces deux fonctions seront distribuées entre divers groupes sociaux dont la cohérence va perdre sa dimension immédiate et présente pour se disperser dans le temps et l’espace.

Une première division va distinguer ceux qui ajoutent des fonctions informatiques aux vêtements classiques de ceux qui choisissent de revêtir un objet spécifiquement dessiné pour cela. Un ordinateur vestimentaire connaît donc deux étapes de développement social:

1)      L’ajout de fonctions informatisées sur un vêtement déjà dessiné dans une période ancienne. L’opposition entre la fonction et l’habit devient évidente et caractérise généralement les premiers moments de l’innovation

2)      La fabrication de vêtements par ordinateur destinée à intégrer les fonctions informatiques à sa structure. Ce genre de vêtement est réservé à des fonctions politiques stratégiques liées aux militaires ou aux services de renseignement des grands États.

Parmi les vêtements informatisés connus du grand public, il y a ceux des spationautes et ceux des pilotes de chasse. Certaines catégories de combinaisons sous-marines entrent aussi dans cette catégorie. Il s’agit de milieux extrêmes qui nécessitent le port de vêtements de protection qui permettent la survie du corps humain. On trouve également cette catégorie de vêtements avec la nécessité de circuler dans des zones contaminées par la radio-activité, les produits chimiques et biologiques toxiques ou encore des milieux portés à très haute température. Les responsables des milieux de travail en zone d’insécurité corporelle vont prendre l’initiative d’utiliser les futurs ordinateurs vestimentaires.

Les fonctions sociales de l’ordinateur vestimentaire


La présence momentanée dans des lieux extrêmes pour le corps humain ne sera pas la seule zone d’activité à être envahie par l’ordinateur vestimentaire. Les activités de travail, effectuées au moyen d’un détachement de la base de départ, empruntent le qualificatif de mission pour indiquer cette extériorité temporaire. La première activité sera donc celle des ouvriers de maintenance et de réparation. En effet, ceux-ci ont besoin d’une grande quantité d’informations disponibles sur le site de leur intervention pour mener à bien leurs missions. L’ordinateur vestimentaire peut mobiliser tout le savoir pertinent d’une entreprise au service d’un employé au travail. Ce savoir peut être archivé ou vivant. Une unité centrale permet de répondre à une demande locale et un collègue peut renforcer cette fonction par un échange dans le domaine du savoir implicite.

La transmission de l’information peut être liée à une intervention ponctuelle ou une intervention collective distribuée dans l’espace. Les moyens utilisés peuvent être la transmission de textes, de graphes, d’animation, de sons et de photos. L’adjonction d’une caméra vidéo permet de traiter en direct de questions par une téléconférence d’assistance à l’intervention. Le plus grand avantage de ce système est le lien fait avec des détecteurs de toutes sortes qui donneront leur résultat, ou bien une image, sur l’écran miniature. De plus, une liaison entre l’ordinateur vestimentaire et des webcams peut indiquer le chemin à suivre dans un environnement inconnu. Les commandes peuvent êtres envoyées par divers interfaces : la commande vocale ou la manipulation virtuelle par un gant sont deux options envisageables. Cette fonction permet de répondre à une sollicitation et d’envoyer une commande.

Imaginons une situation courante dans un lieu commercial. Un client potentiel est à la recherche de tel objet ou service. Il indique sur son ordinateur vestimentaire les caractéristiques du produit recherché. Cette demande est interprétée par les fournisseurs potentiels qui peuvent déposer leurs offres sur l’écran de l’ordinateur vestimentaire et indiquer l’endroit où se trouve le produit ou les modalités d’accès au service. On peut même imaginer que les activités commerciales explicites soient limitées au monde virtuel pour laisser le monde sensuel exempt de pollutions publicitaires. On peut très bien voir une société future  où le commerce sera réservé au monde virtuel avec une intervention technique limitée à la livraison d’objets ou la fourniture de services. Les centres commerciaux et les boutiques qui mobilisent la plupart des espaces urbains centraux pourraient être remplacés par des sites de divertissement en immersion informatisée (un nouveau cinéma). Le jeu est le seul produit de consommation courante qui ne connaît aucune limite théorique. La montée en puissance des entreprises de divertissement dans le monde entier en ferait des lieux d’utilisation privilégiée pour des ordinateurs vestimentaires dont les capacités seraient en progression constante.

Des opérations industrielles

Un vêtement créateur


La création est une marque de commerce de la mode vestimentaire. C’est le seul métier qui ose dénommer ses praticiens comme créateurs. Cette capacité divine semble uniquement attribuable à ceux qui cherchent à recréer la femmes et de manière plus récente, l’homme. La création de mode n’a pas connu beaucoup d’innovations réelles depuis un siècle. La transposition d’un vêtement d’une catégorie humaine à une autre, essentiellement des hommes vers les femmes, a été la principale activité du monde de la mode récente. Les innovations techniques sont venues du monde de la chimie organique pour donner naissance aux fibres synthétiques largement utilisées au même titre que les nouveaux colorants et les procédés automatisés de tissage. Dans la conception du vêtement, l’infographie ajoute une précision inégalable à l’œil exercé du styliste. La première innovation socio-technique du siècle dans la mode, à mon avis, est le fait de Courrèges qui propose de fabriquer des vêtements «seconde peau» qui épousent les formes du corps dont les précurseurs n’avaient ciblé que le caractère secondaire du sous-vêtement. Introduire des nouvelles structures interactives pour le tissu a été imaginé par fort peu de créateurs. Le rôle de l’ordinateur a été bien saisi ensuite par Élisabeth de Senneville dans le design des tissus. Son œuvre représente la plus importante innovation globale en cours. Avec des vêtements en tissu sensible à la lumière ou à la chaleur, en tissu incorporant un cosmétique pour adoucir la peau ou en intégrant un tissu en fibres optiques pour donner une illusion de bijou luminescent sur une robe, Élisabeth de Senneville a fait entrer la mode dans l’univers de la recherche scientifique. Thierry Mugler en proposant un mannequin virtuel en infographie animée a ouvert la voie à des défilés numériques et à des clones infographiques de la clientèle. Mais son effort était extérieur à la confection proprement dite. La reproduction des mouvements du vêtements sur un corps en mouvement est devenue l’exercice le plus complexe de l’informatique 3D avec les expressions du visage. La chorégraphie et le cinéma numérique en sont les principaux bénéficiaires. Cette fluidité qui est la caractéristique de la vie humaine est en partie maîtrisée par ces ordinateurs aux logiciels d’imagerie de synthèse sophistiquée (aujourd’hui avec Avid aux Etats-Unis fondée sur Softimage à Montréal). Ces initiatives sont encore marginales dans un milieu du vêtement qui oscille entre la recherche du coût de production minimal et de la répercussion publicitaire maximale.

Cette création de nouveaux vêtements technologiques et sorti du domaine de la création de mode, dont l’essence est la nostalgie cyclique, pour entrer dans les laboratoires de recherche scientifique. Un créateur de mode, Issey Miyake a fait converger ses efforts vers la production industrielle de vêtements d’un seul tenant découpé dans des rouleaux de tissu par des lasers de puissance. Issey Miyake a également utilisé la force de compréhension synthétique de l’infographie 3D pour formaliser les secrets des artisans tailleurs japonais dans les arrangements complexes de vêtements plissés. Au sein d’un univers de la mode qui , à son sommet, les flux financiers les plus libéraux, les recherches scientifiques ne sont pas les mieux admises et provoquent des adhésions superficielles, des rejets puritains ou des oppositions résolues. Le langage de la mode qui tente de systématiser les psychologies du changement d’apparence a été manipulé par l’appareil publicitaire de consommation de masse pour donner plus de force aux installations productives. C’est le monde qui s’émancipe de la nécessité pour faire du besoin une succursale de la pulsion désirante. Cette fonction publicitaire (le Marché) concurrence l’État et la Religion pour donner du sens à la vie humaine. Le mythe de l’assouvissement du désir immédiat par la prise de possession d’un fétiche (marchandise) engendre un calme momentané qui s’inscrit dans une suite cyclique. Alors que la religion exprime une exigence à vocation absolutiste dans le monothéisme (un seul Dieu pour l’éternité), l’État propose une allégeance raisonnable pour la vie terrestre et le Marché une pulsion désirante pour le moment présent. Ces trois éléments peuvent se combiner dans un syncrétisme personnalisé. Le langage qui le rend manifeste emprunte des formes multiples où se mêlent le texte, la musique et l’icône.

L’ordinateur vestimentaire va être en mesure de matérialiser ces trois niveaux de sensibilité quand il sortira du domaine fonctionnel de professions délimitées par des tâches ordonnées pour entrer dans la subversion des actes créateurs que Duchamp ou Picasso ont offerts à leurs contemporains au début du 20e siècle. Il entraîne une vision du vêtement qui va être la prolongation, dans les rapports du corps à l’objet texturé, de ce que Roland Barthes suggère en distinguant le texte de l’écrivain de celui du lecteur. Le texte de l’écrivain, comme le vêtement du créateur, n’existe que porté par un individu qui le fait sien. Lire un texte, revêtir un vêtement est un acte d’allégeance à l’auteur-créateur qui voit sa puissance sociale renforcée par un adorateur (plus ou moins fanatique) qui peut engendrer en lui l’âme d’un guru. L’incapacité de remettre en question l’intégrité d’un texte ou celle d’un vêtement propose une passivité qui a fourni les meilleurs outils aux dictatures de l’ère moderne ( texte politique et uniforme). Alors que le texte a toujours été l’objet d’une fonction critique devenue aujourd’hui systématique dans les démocraties urbaines cultivées, le vêtement connaît son apogée dans l’adhésion intégriste de «fashion victims» plus ou moins exhibitionnistes. L’envahissement du centre des villes par les boutiques de vêtement, la multiplication des magazines de mode, le prestige des top models, la vogue des défilés de mannequins comme rituel sensuel urbain démontre que le créateur de vêtements domine dans l’esprit public le vêtement créateur. Avec l’ordinateur vestimentaire, une nouvelle conception de l’enveloppe corporelle est en train de naître dans des termes certes anciens, mais avec une dynamique certaine de changement de la manière de voir sa propre personne en société.

Sur le plan technologique, la miniaturisation des ordinateurs actuels va nourrir les premières conceptions d’ordinateurs vestimentaires, par la suite ceux-ci seront intégrés à la structure du vêtement dans la fibre synthétique elle-même pour des fonctions de traitement de l’information, de communication et de fourniture d’énergie.

Le vêtement, le corps et la transparence


Si un subterfuge permettait de faire se mouvoir des vêtements, une illusion vivante d’humanité s’en dégagerait immédiatement. En effet, les rapports sociaux sont le fait de personnes habillées qui, à une certaine distance (celle qui ne permet pas de reconnaître un visage), réagissent les unes aux autres en fonction des attributs vestimentaires. Le bal masqué qui accompagne souvent le Carnaval achève cette illusion en couvrant le visage et parfois les mains (avec des gants) des protagonistes. L’illusion de novation est souvent complète si les interlocuteurs changent légèrement leurs voix. Cette mascarade, aujourd’hui bien mal jugée, est pourtant l’occasion de renouveler des sentiments, thème que la dramaturgie européenne des 17 et 18e siècle a souvent utilisée dans l’art comique. Le vêtement accompagné du masque ouvre à l’idée que le corps entier est objet de mascarade en période carnavalesque. En période dite normale, le masque s’efface et devient conventionnel s’il ne recouvre que le corps en laissant libre le visage. À l’extrême, dans certaines franges rurales du monde musulman, le voilement intégral des femmes exprime une négation sociale de la personne humaine et une oppression plus fondamentale encore que le racisme.

Le voilement du corps est considéré comme un signe de civilisation et son dévoilement est étroitement réglementé. La transparence des vêtements est un moyen de contourner certaines conventions. Ainsi, le degré de transparence d’un vêtement indique une situation de proximité corporelle et d’invitation à la rencontre pour fins éventuelle de consommation. Cette idée de transparence affecte les êtres humains comme les machines, en particulier les ordinateurs. L’idée de transparence propose d’aller et de venir, au-delà des apparences, dans un mouvement qui va de la persuasion vers son noyau vide de vérité. Acceptable entre le vêtement et la peau pour un être humain, elle procède d’un dialogue entre le regard humain et les organes internes pour une machine (ex : la vogue temporaire des premiers iMac de Apple repose sur cette mode colorée de la transparence). Reportée à un être humain, l’idée de transparence évoque une image terrifiante et médiévale, celle de l’écorché qui laisse voir ses muscles et organes en action sans le voile de l’épiderme. Une telle image peu endurable a laissé place à une métaphore de l’être qui ne laisse rien dans l’obscurité de ses sentiments, ce qui exprime parfois une certaine naïveté de bon aloi, ou bien de l’être qui n’existe pas, dont l’épaisseur caractérielle est nulle, et dont les actes sont prévisibles comme ceux d’une machine.

L’ordinateur vestimentaire permettra de gérer une transparence plus conviviale. Déjà existe sur le marché textile des tissus qui laissent passer les rayons bronzants pour les maillots de bain féminins. Ils peuvent être qualifiés de transparents pour une certaine fréquence de lumière. De l’ultra violet à l’infra rouge, les ordinateurs vestimentaires peuvent créer des zones d’absorption et de réflexion de la lumière, ils peuvent également engendrer une certaine luminosité chimique ou électrique. Si nos critères esthétiques évoluent, de tels vêtements pourraient devenir des écrans qui révèlent, par échographie, par exemple, certaines parties internes du corps. Certaines peaux sont translucides et laissent voir le système des vaisseaux sanguins. Il est possible d’imaginer des ordinateurs vestimentaires cosmétiques qui traitent la peau pour lui donner un fini spécifique dont la transparence ne serait qu’un des possibles.

La communication inter-vestimentaire


La communication lointaine entre les personnes passe par la visualisation d’un vêtement accompagné d’une gestuelle significative. Avec l’ordinateur vestimentaire, la communication interpersonnelle sera médiatisée par le vêtement indépendamment de la distance. Avec une connexion aux réseaux de type Internet et d’un numéro IP spécifique, l’ordinateur vestimentaire devient un portable enveloppant. Une telle machine pourrait faciliter les contacts avec un lien GPS (déjà disponible sur une automobile et expérimenté par le Torontois Steve Mann) et des codes de rencontre ou de demande de renseignement. Dans une foule, des individus pourraient ainsi interroger leurs proches, équipée en partie de ce même ordinateur vestimentaire ou bien des postes civils de renseignement automatisés ou non. L’activation d’un ordinateur vestimentaire serait personnalisée par divers codes liés à la personne qui le possède. Un vol serait ainsi découragé et la balise GPS permettrait de retrouver un vêtement oublié. Une forme de communication plus originale découlerait de la transformation de l’ensemble du vêtement en écran de démonstration. Avec des fibres optiques tissées de manière à permettre la reproduction d’une image mouvante, l’ordinateur vestimentaire pourrait adopter toutes les gammes de couleurs et de luminosité souhaitables.

Adaptée au monde des affaires, une telle machine offre la possibilité de mémoriser toutes les coordonnées d’une assemblée pour tous les participants. Chacun peut ainsi immédiatement offrir, à ceux qu’il sélectionne, les informations disponibles sur lui ou à travers le réseau Internet. Ceci peut engendrer des discussions fructueuses assez rapidement. Chaque partenaire mobilise toutes les sources d’information disponibles et a le loisir de se faire conseiller en temps réel avec l’aide d’une webcam. En dernière analyse, ce sont les personnes qui prennent les décisions pour un groupe avec le secours d’une information pertinente, la plus complète possible et la mieux assimilable. Un tel ordinateur vestimentaire permettrait de repousser les tentations actuelles à la greffe de systèmes informatisés dans le corps. Pour une solution difficilement réversible, l’ordinateur vestimentaire apporte une pratique volontaire, réversible et socialement acceptable.

Un système de communication qui s’émancipe des objets lourds et permanents, accompagne les individus sans entraver leurs mouvements et se prête `une recherche esthétique autant que fonctionnelle, voilà ce que peut offrir l’ordinateur vestimentaire qui devient le maillon d’une chaîne de communication personnalisée. Comme pour certaines montres aujourd’hui, il serait même possible de mettre au point une batterie rechargée à partir du corps en mouvement. Mieux encore, la batterie serait constituée de pellicule de lithium polymère directement utilisable dans la confection du vêtement ou bien de recherche par induction dans des cafés ou des restaurants le temps d’une consommation.

De l’art vestimentaire médiatique aux nouvelles méthodes de communication


Un tel vêtement pourrait retracer le graphe des déplacements d’une personne au cours d’une journée et des logiciels seraient utilisés pour en faire une analyse statistique et typologique. Avec un traitement de groupe, les flux de population seraient à la portée de la recherche scientifique la plus pointue. Par contre, les dérives policières seraient à baliser étroitement afin de ne pas permettre une surveillance en continue de chaque individus. Le problème est intrinsèque à la pratique sociologique.

Le comportement urbain est déjà modifié par le téléphone portatif. Les individus peuvent dialoguer avec leurs congénères en s’isolant momentanément de leur milieu. Aujourd’hui, et surtout au Japon, on voit des individus seuls, en conversation animée avec des êtres invisibles qui n’existent que par la connexion d’un cellulaire avec un micro-écouteur relié avec fil au téléphone caché dans une poche intérieure. En principe, un homme seul qui semble parler aux esprits en plein milieu d’une grand boulevard est soupçonné de dérangement de l’esprit dans une société moderne. Or, dans la société post-moderne qui s’affirme comme dans les sociétés pré-modernes, un tel comportement, pour des raisons diamétralement opposées, est légitime. Dans la société traditionnelle, le sorcier peut revêtir des attributs magiques qui le mettent en relation avec les forces surnaturelles alors que le jeune étudiant de l’université de Tokyo parle à sa petite amie sur son cellulaire Sony.

Une autre scène urbaine étrange pour notre regard actuel proviendra des recherches actuellement menées dans divers laboratoires dont ceux de Carnegie Mellon sur la traduction orale immédiate. Quelques personnes se parleront dans une langue différente sans éprouver de graves difficultés de compréhension sans toutefois connaître celle de leurs interlocuteurs. Cette scène sera rendue possible grâce à un système d’ordinateur vestimentaire de traduction automatisée en simultané. L’observateur assistera à cet échange babélien qui n’entraînera cependant que des incompréhensions mineures chez les divers protagonistes grâce à une liaison de traduction assistée en réseau. Un tel ordinateur vestimentaire sera très utile pour les voyageurs dans sa phase commerciale. Il pourra également permettre la représentation de pièces de théâtre avec des acteurs aux discours hétérogènes si le public est équipé de telles machines personnelles. Plus généralement, l’ordinateur vestimentaire, dans sa fonction de traduction linguistique offre des possibilités de liens sociaux qui encouragent l’apprentissage d’une autre langue en permettant ce qui peut être appelé une simulation de dialogue translinguistique ou encore une aide à conversation polyglotte. L’idéal espérantiste de la fin du siècle dernier pourrait revivre à la suite de cette innovation qui sera toujours limitée par l’impossibilité de transmettre tout le message d’une langue dans une autre langue. La construction d’une langue artificielle à partir des langues naturelles est tout à fait envisageable et viendrait se superposer aux langues existantes et à cet artifice technique incorporé à l’ordinateur vestimentaire.

Conclusion


L’ordinateur vestimentaire sera déterminé, comme tous les objets industriels, par des motifs financiers et des modes. Le but de l’État et des corps constitués sera de revenir vers l’uniforme qui permet de contrôle l’individu par le port d’un vêtement spécifique. Les gens pratiques feront des ordinateurs vestimentaires des objets destinés à faciliter l’accomplissement d’une fonction. Le monde du spectacle pourra y  voir un moyen d’élargir les palettes d’expression sur scène. Les amateurs d’intrigue pourront utiliser cet objet pour inventer toutes sortes de situations rocambolesques. Le monde de la mode sera confronté à son premier défi existentiel. Entré dans l’histoire sociale par la porte des couturiers de luxe, le monde des créateurs de mode a subi l’assaut des vagues de contestation de ce siècle en prétendant trouver dans la rue les motifs de leur travail dans l’atelier. Les créateurs originaux comme Balanciaga ont fermé boutique, d’autres sont morts dans la misère ou sont restés fixés à une innovation séminale comme Courrèges. Avec l’ordinateur vestimentaire, l’emprise que les chimistes avaient réussi à établir avec les fibres synthétiques va s’élargir à tous les domaines de la fabrication et du port d’un vêtement. Les ingénieurs vont prendre un espace plus large et diminuer les folies intelligentes des créateurs dans l’exercice de ce métier cyclique. Là est, comme d’habitude, le principal problème. Les jeunes enfants contemporains ont délaissé les jeux naïfs qui les faisaient manipuler la matière pour se visser devant des consoles électroniques. Ils perdent en ce faisant une sensibilité que la machine ne peut évoquer en eux. Avec l’ordinateur vestimentaire, une fabrication artisanale est envisageable à certaines conditions. Aujourd’hui, les gens qui portent des vêtements fabriqués par eux-mêmes ou par leurs proches sont l’exception dans une vie urbaine marquée par la succession de boutiques plus racoleuse les unes que les autres. L ‘ordinateur vestimentaire est encore dans les limbes. Assez rapidement, il franchira toutes les étapes du gadget innovateur. Une fois que ses fonctions professionnelles auront permis une fabrication de petite série, les gens qui font la mode et qui détiennent un certain pouvoir médiatique vont en acheter pour des fins de distraction et de distinction. Ces vêtements, qui sortiront alors de leur univers militaire et professionnel, seront destinés à conquérir le cœur et le corps de certaines fractions de la population. À partir de là, une diversification du marché de l’ordinateur vestimentaire se fera en fonction des modes du moment et des firmes qui en feront la promotion.